« Le Canada n'est pas à vendre » : comment les Prix Juno 2025 reflètent la vague actuelle de nationalisme culturel au Canada
Malgré les tarifs douaniers et les commentaires du président américain Donald Trump sur le « 51e État », les Junos de cette année ont affirmé une fierté canadienne indéniable. Mais ont-ils réussi à s'inscrire dans l'actualité ?

Michael Bublé accueille les Junos 2025 à Vancouver, Colombie-Britannique, Canada, le 30 mars 2025.
Un courant nationaliste canadien indéniable a imprégné la cérémonie des prix Juno 2025, diffusée en direct sur CBC depuis la Rogers Arena de Vancouver, dimanche 30 mars. (Voir la liste complète des lauréats ici .)
Le gala de remise des prix – ainsi que son événement exclusif la veille, où la majorité des trophées sont attribués – reste un moment privilégié pour l’industrie musicale de célébrer ses réussites. Mais cette année, ces déclarations de succès avaient une résonance particulière.
Le Canada connaît une montée de fierté nationale, un élan qui se manifeste souvent lorsque le pays se sent menacé. Entre les tarifs douaniers imposés par les États-Unis et les déclarations du président américain Donald Trump évoquant une possible annexion, cette fierté était plus que jamais palpable aux Junos.
Voici comment cela s’est traduit.
« Le Canada n'est pas à vendre »
« Le Canada n’est pas à vendre » est devenu un cri de ralliement, un symbole de fierté et de défi face aux menaces répétées de Donald Trump d’annexer le pays en tant que « 51ᵉ État ». Michael Bublé, maître de cérémonie des Junos, a été le dernier en date à reprendre cette phrase, récemment arborée sur un t-shirt de Mike Myers lors de son passage à Saturday Night Live.
Dans un monologue d’ouverture inspiré de la célèbre publicité « Je suis Canadien » de Molson du début des années 2000, Bublé a multiplié les déclarations teintées de politique, célébrant ce qu’il a qualifié de « plus grande nation du monde ». « Quand d’autres s’effondrent, nous nous relevons », a-t-il affirmé. « Nous aimons ce pays, et quand on aime quelque chose, on se mobilise », a-t-il ajouté sous les applaudissements.
Allan Reid, président-directeur général de CARAS, l’organisation qui chapeaute les Junos, a lui aussi insisté sur le rôle central de la culture dans l’identité canadienne. Lors du gala de l’industrie, il a rappelé que le Canada est le troisième plus grand exportateur mondial de musique, s’appuyant vraisemblablement sur les chiffres du dernier rapport de fin d’année de Luminate. « C’est notre culture qui définit qui nous sommes et qui constitue le socle de notre identité nationale », a-t-il déclaré, soulignant la force du rayonnement musical canadien au-delà des frontières.
Les succès de l’ombre
L’industrie musicale canadienne, tout comme les Junos, a souvent tendance à se célébrer elle-même. Un phénomène qui peut poser problème lorsque certaines des plus grandes stars du pays, tournées vers une carrière internationale, se montrent peu enclines à répondre à la reconnaissance canadienne.
Si les Junos ont joué un rôle clé dans l’autosuffisance de l’industrie musicale canadienne, grâce aux réglementations sur le contenu national et à un solide système de financement public via des organismes comme FACTOR, ils se heurtent aujourd’hui à un problème de présence. Tate McRae, grande gagnante de l’année avec quatre trophées, n’était pas là pour les recevoir. Des figures majeures comme The Weeknd, AP Dhillon et Shawn Mendes brillaient également par leur absence.
Toutefois, certaines des plus grandes réussites musicales canadiennes s’écrivent en coulisses, et cette année, elles ont enfin bénéficié d’une reconnaissance attendue de longue date. Pour la première fois, les Junos ont récompensé un auteur-compositeur non interprète, et c’est Lowell qui a remporté ce prix inaugural. Déjà lauréate du Billboard Canada Non-Performing Songwriter Award en 2024, elle militait depuis des années pour la création de cette catégorie. « J’ai assisté aux Junos huit ou neuf fois et j’ai vu des chansons que j’ai écrites gagner », a-t-elle confié samedi soir. « Mais jamais moi. » Elle a également salué son co-auteur canadien Nate Ferraro, ainsi que tous ceux qui auraient dû être honorés avant elle.
Lowell a récemment coécrit plusieurs tubes majeurs, dont Texas Hold 'Em de Beyoncé, illustrant l’impact considérable des créateurs canadiens dans l’ombre. De son côté, Jack Rochon a remporté le prix du producteur de l’année grâce à son travail aux côtés d’artistes internationales comme Beyoncé, Kehlani et la chanteuse torontoise Charlotte Day Wilson. L’ingénieur du son Serban Ghenea a été sacré pour ses collaborations avec deux des artistes les plus en vue de l’an dernier, Sabrina Carpenter et Teddy Swims. Avec 45 nominations et 21 victoires aux Grammy Awards, il incarne l’excellence discrète mais influente du Canada sur la scène musicale mondiale.
Enfin, Boi-1da a été récompensé pour sa contribution exceptionnelle à l’industrie musicale internationale, lui qui a façonné le son d’icônes comme Drake, Rihanna et Eminem.
Le Canada, malgré sa population relativement modeste, continue de marquer la musique mondiale de son empreinte. Il était grand temps que ces artisans de l’ombre reçoivent la reconnaissance qu’ils méritent.
La diversité en tant que force
Le Canada n’a pas de sonorité unique, mais sa richesse réside dans sa fluidité culturelle, parfaitement en phase avec une industrie musicale de plus en plus mondialisée. Ici, la musique s’épanouit dans une multitude de langues, bien au-delà de l’anglais et du français.
Le pays est devenu un véritable épicentre pour l’essor de la musique pendjabi – un phénomène que Billboard Canada a surnommé la « vague pendjabi ». Cette influence grandissante s’est fait sentir aux Junos ces dernières années, et cette édition a marqué un tournant avec l’introduction du prix de l’enregistrement sud-asiatique de l’année, remporté par AP Dhillon pour The Brownprint. Bien que la catégorie n’ait pas été diffusée à la télévision et que Dhillon n’ait pas pu être présent, une performance pendjabi vibrante de Gminxr, Jazzy B, Inderpal Moga et Chani Nattan a néanmoins mis cette scène à l’honneur.
De son côté, Elisapie a remporté le prix de l’album alternatif de l’année avec un projet entièrement en inuktitut, revisitant des classiques de Blondie et Pink Floyd dans sa langue maternelle. En recevant son trophée, elle a exprimé sa fierté d’être une femme inuk chantant dans sa langue.
Lauréats du prix de l’album rap de l’année pour RED FUTURE, Snotty Nose Rez Kids ont, quant à eux, célébré l’excellence autochtone et l’importance de créer des références pour les générations futures. Dans un contexte où Buffy Sainte-Marie s’est vu retirer ses prix à la suite de controverses sur son identité autochtone, cette édition des Junos a su mettre en lumière des voix autochtones authentiques et actuelles, affirmant ainsi la diversité comme une force essentielle de la scène musicale canadienne.
« Elon Musk est un déchet »
Si la plupart des critiques envers les États-Unis sont restées subtiles ou centrées sur le Canada – le nom de Trump à peine évoqué –, certaines prises de position plus tranchées ont marqué la soirée. L’une des interventions les plus directes est venue de bbno$ lors de la cérémonie télévisée de dimanche. Après avoir remercié le public pour son prix du choix du public, il a lâché : « Elon Musk est un imbécile. » Une pique qui a déclenché les acclamations du public, ravi de voir le patron de DOGE pris pour cible. Présentant le segment suivant aux côtés de Max Kerman (Arkells), Michael Bublé a admis ne pas avoir entendu la remarque, tout en soulignant l’enthousiasme de la foule. « Moi, je l’ai entendu », a répliqué Kerman. « Et c’était juste. »
Lors du gala de samedi, le groupe montréalais NOBRO a injecté une énergie punk brute dans sa performance, portée par la chanteuse Kathryn McCaughey arborant un débardeur floqué du slogan Pussies Against Fascism. Lauréates du prix de l’album rock de l’année pour Set Your Pussy Free, elles ont saisi l’occasion pour défendre l’égalité des femmes et l’avortement comme un droit fondamental. « Aucune chatte n’est libre tant qu’elles ne le sont pas toutes », ont-elles martelé, fidèle à leur engagement sans compromis.
Fabriqué au Canada
Ces dernières semaines, en réponse aux tarifs douaniers, les magasins d’alcool ont retiré les produits américains de leurs rayons, tandis que les épiceries ont installé des affiches mettant en avant les produits fabriqués au Canada. Aux Junos, le message était clair : célébrer les réussites canadiennes. Pourtant, une critique persistait concernant la place prépondérante des grandes maisons de disques, aussi bien dans les nominations que dans les prestations télévisées. Si Sony, Universal et Warner sont bien implantées au Canada et y prospèrent, elles restent avant tout des filiales de groupes américains.
Quelques exceptions ont toutefois dérogé à cette règle. Lauréats du prix du groupe de l’année, The Beaches ont connu un succès fulgurant après s’être séparés de leur ancien label, Universal Music Canada.
Sum 41, quant à eux, ont passé l’essentiel de leur carrière sous l’aile de grandes maisons de disques, mais n’en ont pas moins souligné l’étrangeté de cette reconnaissance par l’industrie. « On n’est pas vraiment un groupe fait pour les cérémonies de remise de prix », a lancé Deryck Whibley. Intronisés au Panthéon de la musique canadienne, ils se sont rappelés leurs débuts chaotiques, lorsqu’ils envoyaient leur démo à toutes les maisons de disques et se faisaient systématiquement refuser. « L’un d’eux m’a même dit que c’était la pire qu’il avait entendue en dix ans », a raconté Whibley. « Peut-être qu’il est là ce soir. » Une persévérance qui leur a finalement valu un succès mondial, ironiquement grâce à ces mêmes majors.
Mais si la résilience était un thème central des Junos, Nemahsis en a offert une illustration bien différente. L’artiste palestino-canadienne a raconté comment elle s’était retrouvée sans label peu après le 7 octobre, contrainte de sortir son album Verbathim en toute indépendance avec le soutien de son manager, Chass Bryan.
Samedi soir, en recevant le prix de l’album alternatif devant un parterre de figures majeures de l’industrie musicale, elle a livré un discours percutant : « Tant de maisons de disques sont remerciées et mentionnées… Les maisons de disques ont de l’argent. L’argent finance les albums. Les artistes ont besoin d’argent pour créer. J’ai été coupée du monde et me suis retrouvée sans rien. Pourtant, cet album a vu le jour grâce à Chass, à mes parents et au peuple palestinien. »
Retrouvez la liste complète des lauréats des prix Juno 2025 ici.