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Le Québec, carrefour stratégique du rap français pour conquérir le marché nord-américain​

Alors que Montréal devient une destination incontournable pour les artistes hip-hop français, Billboard Canada rencontre des acteurs de l’industrie des deux côtés de l’Atlantique pour décrypter ce phénomène.

Belgian rapper Hamza performing at OfF Piknic as part of Piknic Électronik in Montreal on Friday, June 2, 2023.

Le rappeur belge Hamza en prestation au OfF Piknic dans le cadre du Piknic Électronik à Montréal le vendredi 2 juin 2023.

Piknic Électronik/@villedepluie

La scène rap francophone québécoise gagne en reconnaissance sur la scène internationale, et l'échange va dans les deux sens.

Les rappeurs français se tournent également vers l'Amérique du Nord, voyant le Québec comme un tremplin clé vers les États-Unis. Avec sa richesse culturelle et ses influences variées, le rap français s’affirme désormais comme une force mondiale, et de plus en plus d'artistes parviennent à se faire entendre au-delà des frontières européennes. Alors que le hip-hop s'impose comme genre dominant aux États-Unis, le Québec s'affirme comme un point de départ idéal pour les artistes cherchant à élargir leur horizon.


Comme l’a mentionné le producteur et manager chez Cult Nation, Hypno, dans une entrevue accordée à Billboard Canada en novembre dernier, on observe un changement significatif dans le public du rap français.

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« Montréal est le berceau de nombreux artistes talentueux qui gagnent en notoriété… et ils ont déjà un grand potentiel sur le marché français. Les fans continuent de croître des deux côtés de l'Atlantique, et de plus en plus d'artistes auront la chance de se faire entendre. »

Les jeunes publics découvrent des scènes musicales de niche dans des villes comme Lyon, Bordeaux, Toulouse et, de plus en plus, Montréal. Les rappeurs français considèrent désormais Montréal comme une étape incontournable de leurs tournées internationales. Des noms établis comme Niska, Ninho, SCH, Hamza et Damso, ainsi que des étoiles montantes comme Zamdane, RSKO et bien d'autres se sont déjà produits dans les grandes salles montréalaises, soulignant l'empreinte croissante du genre en Amérique du Nord.

Le Québec, qui entretient des liens historiques et linguistiques profonds avec la France, a longtemps servi de porte d'entrée aux artistes francophones. La scène hip-hop dynamique de la province, soutenue par des festivals majeurs comme Les Francos de Montréal et le Festival d'été de Québec, offre aux rappeurs français l'occasion de rejoindre un public francophone tout en exploitant le marché nord-américain plus vaste.

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Bien que l'anglais domine la scène rap mondiale, des artistes tels qu'Aya Nakamura, Angèle, Booba et Stromae ont démontré que la musique francophone peut également conquérir le public international.

Bien que la culture et les radios québécoises offrent encore une visibilité restreinte au rap français, l'importance de Montréal comme tremplin vers la reconnaissance internationale est désormais incontestable. Des promoteurs tels qu'Evenko, Courage et Ricky D. Events ont joué un rôle clé en attirant les artistes français les plus en vue, qu'ils soient grand public ou underground, dans des salles plus intimistes au Québec, répondant ainsi à une demande en constante croissance.

Pour beaucoup de rappeurs français, une tournée en Amérique du Nord ne se résume pas uniquement à conquérir de nouveaux fans : c’est aussi l’occasion de renforcer leur légitimité dans le berceau du hip-hop et de nouer des contacts avec les figures incontournables de l’industrie. Le Québec, dans ce contexte, se présente comme un tremplin essentiel.

Ugo Margolis, associé du rappeur français 8ruki et codirecteur du label 33 Recordz à Paris, explique que l'attrait des tournées au Québec et en Amérique du Nord dépasse largement la simple vente de billets : il s'agit d’une véritable stratégie d'expansion de l'audience et de consolidation de l'image de marque de l'artiste à l'échelle internationale.

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« Il y a un double intérêt à faire des tournées internationales », me confie-t-il lors de notre rencontre à Paris en janvier 2025. « D’abord, pour les artistes francophones, se produire à l’étranger leur permet de se connecter avec des publics francophones au-delà de la France – tout comme jouer en Belgique, en Suisse, au Congo, au Maroc ou au Sénégal. C’est une façon de toucher un maximum d’auditeurs francophones, un peu comme les artistes américains qui se développent sur des marchés comme le Nigeria, le Royaume-Uni ou l’Allemagne. »

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Depuis qu'il a commencé à collaborer avec Margolis en 2018, 8ruki a su se faire une place grâce à son style polyvalent, fusionnant des sous-genres du rap underground tels que le plug, le DMV et le rap mélodique. Avec des collaborations aux côtés d’artistes comme Rowjay, FREAKEY!, Mister V et thaHOMEY, il a peu à peu consolidé sa présence sur la scène.

Margolis a été déterminant dans cette trajectoire, orientant de manière stratégique l’évolution de 8ruki et contribuant à une démarche collective visant à imposer le rap français sur la scène internationale. La performance de 8ruki lors des Francos de Montréal à l’été 2024 incarne parfaitement ce rayonnement mondial, renforçant sa visibilité et tissant des liens avec un public de plus en plus large.

Margolis souligne l’importance de bâtir une véritable marque à l’échelle internationale, même si les salles dans lesquelles jouent les artistes sont souvent plus petites que celles en France.

« Il y a un véritable enjeu de marque, » précise-t-il. « Se produire à l’étranger, notamment en Amérique du Nord, montre qu’un artiste s’impose au-delà des frontières françaises. Même si un concert à Montréal se déroule dans une salle plus modeste, la perception en France est que l’artiste réalise des percées internationales majeures. »

Il évoque l'exemple du rappeur belge Hamza, dont la tournée de lancement, passant par Paris, Berlin, Amsterdam et Londres, se déroulait dans des salles relativement petites, mais a marqué durablement les esprits des fans. « Bien que le public soit en grande partie composé de la diaspora, cela a renforcé son image », précise-t-il.

Cependant, Margolis souligne que l’approche du public québécois peut être délicate, ce dernier ayant besoin de ressentir une connexion authentique avec l’artiste pour qu’une relation durable s’instaure.

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« Conquérir véritablement le public québécois est un défi. Si un artiste ne parvient pas à établir un lien fort avec son public local, Montréal et le Québec ne l’accueilleront pas forcément à bras ouverts. Mais jouer au Canada reste un atout : une tournée internationale, même si elle se déroule dans des salles plus petites, renforce indéniablement la réputation d’un artiste. »

Margolis voit le Québec comme un premier pas vers une plus grande reconnaissance nord-américaine.

« Je pense que cette impulsion fait partie d’une ambition plus grande. Cela s’inscrit dans l’idée du "rêve américain" — s’étendre au-delà de la France, faire des dates internationales et prouver qu’on peut exister sur la scène mondiale, même sans devenir une star au Québec. »

Margolis reconnaît que la langue reste un obstacle majeur pour percer sur le marché américain, en particulier pour ceux qui ne sont pas familiers avec le rap français. Cependant, il souligne aussi que la musique elle-même peut être un facteur unificateur, permettant de franchir le fossé entre les cultures.

« Le public francophone est habitué à écouter de la musique anglaise ou espagnole sans forcément comprendre les paroles, mais je ne suis pas certain que les auditeurs américains, qui consomment principalement du contenu en anglais, feraient de même avec du rap français. Contrairement à l'espagnol, le français n'a pas la même portée mondiale. »

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Il souligne que de nombreux artistes français maîtrisent parfaitement les codes du rap américains, que ce soit en termes de production, de flows ou de sonorité globale, ce qui leur permet de se connecter plus facilement avec certains publics.

« Osa Mason est un excellent exemple. Il a récemment fait une forte impression, il est très tendance en ce moment et incarne une nouvelle vague dans le hip-hop underground », précise-t-il. « Je pense que si un artiste français se lançait dans la Philly Drill et créait quelque chose de similaire en français, il pourrait facilement rejoignre le public niche d'Osa Mason. Rien que le style de production suffirait à franchir la barrière linguistique. »

Il évoque également Brodinski, qui a fait la transition de la musique électronique au hip-hop après avoir passé du temps à Atlanta et à New York, où il a noué des liens avec des artistes comme Lil Baby.

Cette tendance devient de plus en plus marquée, avec de nombreux artistes français qui s'inspirent ouvertement de la culture rap américaine. Prenez Zola, par exemple. Son son porte clairement la marque des influences américaines. Bien qu’il rappe en français, son style s’apparente davantage au rap américain qu’au hip-hop français traditionnel, fusionnant les esthétiques et les sonorités de la Trap dans une approche résolument personnelle.

En 2024, Zola a rejoint le rappeur américain Lil Tjay pour une collaboration sur le morceau « Everyday », un son qui met en avant leurs flows et leurs énergies similaires. Les deux artistes ont également teasé une nouvelle collaboration intitulée « Backdoor Season », accompagnée d'une courte vidéo où l’on voit les deux rappeurs partager un moment ensemble.

En fin de compte, affirme Margolis, la musique transcende les barrières linguistiques. « La musique peut construire des ponts là où la langue est insuffisante ».

Pour enrichir cette perspective, Jeremy Taltaud (alias Jey), gérant d'artistes parisien, président du label Garçon Joueur, filiale de l'agence jNsas, et manager de la DJ et productrice Urumi, reconnaît également le rôle essentiel du Québec dans l’expansion internationale des artistes français.

« Plusieurs raisons poussent les artistes français et leurs équipes à se tourner vers Montréal, et plus largement vers le marché canadien, » explique-t-il. « C’est difficile à définir précisément, car il y a une forte dimension émotionnelle. Il s’agit d’un mélange d’aventure, de reconnaissance, de découverte et de fierté. »

Taltaud met également en avant ce qu’il appelle « l’effet ping-pong » qui se crée lorsque des artistes français se produisent au Canada.

« Le public français a l’impression que son artiste préféré parcourt le monde, ce qui ajoute de la légitimité à l’écouter, » explique-t-il. « Pour l’artiste, savoir qu’il est écouté outre-Atlantique renforce son ego. Cela ouvre rapidement de nouvelles portes, car vous vous retrouvez dans un pays où près de 10 millions de « cainri » [Américains] peuvent comprendre vos morceaux. À cela s’ajoute une culture du divertissement qui vous pousse à vous donner à fond, et rapidement, l’idée de produire quelque chose de grandiose émerge. »

Il ajoute aussi que le Canada offre un terrain propice non seulement pour les rappeurs, mais aussi pour les DJ-producteurs.

« Plusieurs DJ-producteurs ont vu leurs carrières internationales exploser grâce au Canada. En se produisant en Amérique du Nord, leur talent a pris son envol. Le public initial a grandi, et grâce au bilinguisme, l’audience s’est rapidement étendue. Montréal, Toronto, et ensuite, boom — Boston, New York... »

Pour Taltaud, il n'y a aucun doute : même si jouer au Canada sert de tremplin vers les États-Unis, c'est un objectif en soi.

Du côté québécois, Marie Lebrun, acheteuse de talents chez Courage/Multicolore, a observé l’essor du rap français et francophone.

« À Montréal, on remarque un grand intérêt du public pour le rap français et européen francophone — qu’il soit français, belge ou suisse, » explique-t-elle. « Le rap est désormais le genre musical numéro un en France, et il est profondément ancré dans la culture populaire. Montréal, étant la plus grande ville francophone d’Amérique, joue un rôle majeur dans la diffusion du rap et exerce une influence sur le monde francophone dans son ensemble. »

Selon Lebrun, ce genre musical touche non seulement la population francophone du Québec, mais également de nombreuses diasporas francophones.« Le rap s’adresse aux immigrants ainsi qu’aux personnes de deuxième ou troisième génération originaires de France, de Belgique, d'Afrique du Nord, du Moyen-Orient, d’Afrique subsaharienne, des Caraïbes, et bien d’autres encore, » précise-t-elle.

Ce rayonnement fait du rap un genre inclusif qui résonne à travers les générations, qu'elles aient grandi avec l'âge d'or du rap français des années 90 et 2000 ou avec des sonorités plus récentes. Elle en a pris la mesure en observant le public lors de sa programmation de l’artiste IAM au OfF Piknic, dans le cadre du Piknic Électronik à Montréal l'été dernier.

Cette relation symbiotique se manifeste également par l'augmentation des collaborations entre artistes québécois et français.

« Il y a beaucoup de collaborations entre artistes québécois et français, surtout chez les beatmakers, » ajoute Lebrun. « De nombreux producteurs québécois travaillent avec des rappeurs français, ce qui crée une dynamique intéressante entre les deux territoires, engendrant des opportunités de concerts, de sessions en studio et bien plus encore. »

Lebrun souligne également le rôle des festivals dans la mise en valeur d’une diversité d’artistes. Montréal est ainsi de plus en plus reconnue non seulement comme un avant-poste culturel, mais aussi comme un acteur clé de la scène rap francophone mondiale, reliant le public local à des aspirations internationales plus vastes.

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