La nouvelle vague du rap franco-montréalais pourrait bien être la porte d'entrée vers la scène internationale
Entre le français, l'anglais, le créole et l’argot local, la ville fusionne les styles pour créer un son qui capte l'attention au-delà des frontières.
C'est une occasion en or pour les artistes montréalais de briller sur la scène mondiale.
Dans les salles locales et lors de festivals comme M pour Montréal, qui s’est terminé le mois dernier, nombreux sont ceux qui ont remarqué l’émergence d’une nouvelle vague de rap montréalais – une scène vibrante qui séduit de plus en plus le public international.
La richesse culturelle de la ville, où se croisent français, anglais, créole et argot local, a toujours nourri son style hip-hop unique. Aujourd'hui, cette identité forte capte l'attention à l’échelle mondiale, plaçant Montréal comme une force montante de la scène rap francophone.
Bien que cet élan vienne principalement des concerts indépendants locaux, l’industrie commence à s’y intéresser de plus en plus. Elle était notamment bien représentée à l’édition 2024 de M pour Montréal (partenaire de Billboard Canada), un événement qui met en valeur les talents locaux à l’international et facilite l'exportation de la musique montréalaise.
Cult Nation, ce label montréalais novateur qui abrite des artistes comme Charlotte Cardin, est à l’avant-garde d’une nouvelle génération d’artistes aux influences diverses. Halo et Malko se sont particulièrement distingués par leurs performances remarquables lors du showcase de la maison de disques pendant le festival MARATHON de M pour Montréal, qui s’est tenu à Ausgang le 21 novembre. L’ambiance était électrique, les fans remplissant la salle, rappant avec ferveur et créant une connexion intense avec les artistes.
L'authenticité et la profondeur de Halo se sont démarquées sur scène, avec un flow introspectif et jazzy, créant un son distinct qui mêle soul et hip-hop. Sa maîtrise vocale et son talent pour les rimes l'ont imposé comme un artiste captivant et un performer énergique. Influencé par le jazz de son père et par des icônes du hip-hop comme Hamza, la musique de Halo résonne à l’échelle mondiale. Ses collaborations avec des talents européens comme EDGE, Tori et BKH renforcent son rôle de force montante sur la scène musicale, établissant des ponts entre Montréal et Paris et le positionnant comme un pionnier de ce mouvement en plein essor.
La fusion du hip-hop, du R&B et des rythmes afro-caribéens de Malko lui a permis de se forger un style unique qui séduit autant à Montréal qu’en France. Au printemps 2024, il retourne à Paris pour collaborer avec des créateurs comme RayDaPrince, Lucci et Bloody. D’ici la fin de l’année, Malko aura sorti deux projets : le pack de quatre titres SAHARA en juillet et Émotionnellement indisponible à l'automne, avec Chanceko sur le morceau « Parapluie ».
Ces collaborations consolident son influence grandissante et les liens transcontinentaux qu’il tisse entre les deux scènes musicales. Après le succès de son premier EP MAELSTRÖM, qui lui a valu le titre de Breakthrough Artist d’Amazon Music Canada, ses sorties SAHARA et Émotionnellement indisponible en 2024 le placent parmi les talents émergents les plus prometteurs.
Alors que la scène hip-hop montréalaise continue de se développer, elle reflète l’influence grandissante des artistes francophones sur le marché mondial, prêts à marquer durablement l’industrie musicale.
Cette expansion s'inscrit dans un intérêt croissant pour la musique francophone. En France, les revenus du streaming ont atteint 328 millions d'euros au premier semestre 2024, alimentant une industrie de 415 millions d'euros (613,5 millions de dollars canadiens), selon le Syndicat national de l'édition phonographique. Tandis que des artistes français et belges tels qu'Aya Nakamura, Stromae, Pomme et Angèle font sensation sur la scène internationale, l’engouement pour la musique francophone représente une opportunité en or pour les talents québécois.
Hypno, producteur et manager multiplatine chez Cult Nation, souligne les liens croissants entre les artistes locaux et le marché français. Il cite Halo, Malko et Rowjay comme exemples de créateurs qui établissent des ponts avec des talents français émergents comme La Fève et Freeze Corleone. Cette nouvelle vague musicale révèle des points communs évidents entre les sonorités de la scène française et celles du son montréalais. Les deux partagent des toplines accrocheuses mais subtiles, des flows audacieux et des paroles qui privilégient le sens, souvent enrichies d'argot anglais. Certains vont même jusqu’à dire que ces artistes européens s’inspirent de l’atmosphère unique du rap montréalais.
« De mon point de vue, il y a énormément de talents qui émergent en ce moment », explique-t-il. « Montréal regorge d'artistes prometteurs qui se font déjà un nom… et qui ont un potentiel énorme sur le marché français. Les fans se multiplient en France et à Montréal, et de plus en plus d'artistes auront l'opportunité de se faire entendre en France. »
La scène rap francophone de Montréal se distingue aussi par son multiculturalisme dynamique et sa dualité linguistique, contrastant avec un paysage culturel plus homogène dans le reste du Québec. Si la scène rap provinciale s'inspire souvent de l’héritage local québécois et de l’identité canadienne-française, les artistes montréalais mélangent des influences culturelles variées, allant des sons internationaux à l'anglophone, offrant ainsi une expression du rap francophone sans frontières.
Cette dualité permet à la scène montréalaise de rester connectée aux tendances internationales tout en restant profondément ancrée dans son expérience locale.
Cette portée internationale n'est pas nouvelle. Des pionniers comme Roi Heenok ont apporté une touche controversée à la scène, tandis que Rowjay, l'un des premiers rappeurs québécois à faire des tournées en Europe dès son plus jeune âge, a ouvert les portes de l'international. Enima, qui figure parmi les artistes québécois les plus écoutés sur Spotify, connaît aujourd'hui une popularité croissante en Europe. Sur la scène underground, le regretté Jeune Loup a laissé une empreinte durable avec son style sans compromis.
Des producteurs comme FREAKEY!, Hypno et High Klassified ont joué un rôle essentiel dans la formation du son de la scène rap québécoise, en créant des beats pour certains des plus grands noms du rap français tels que Damso, SCH, Kalash et bien d'autres. Leur travail a non seulement amplifié le talent local, mais a aussi consolidé la réputation de Montréal en tant que plaque tournante de la production innovante, dont l'impact résonne à l'échelle internationale.
Plus tôt cette année, le producteur montréalais Remastered a sorti un album révolutionnaire, SYMBIOSE, qui a marqué un tournant dans la scène musicale, mettant en lumière une multitude de talents émergents. Parmi eux, des artistes féminines comme Mandyspie, qui promet un avenir brillant dans une industrie jusque-là dominée par les hommes. Aujourd'hui, des talents comme Malko et Halo, qui ont également collaboré sur l'album de Remastered, continuent de bâtir sur cette solide base.
Le succès du rap belge offre un modèle inspirant pour les étoiles montantes de Montréal et montre comment les petits marchés peuvent prospérer à l'international. Des artistes belges comme Damso, Hamza, Shay et Greene Montana ont su transformer leur métissage culturel en un atout majeur, en utilisant leurs influences multiculturelles pour résonner bien au-delà des frontières. La position unique de la Belgique, située à la croisée des mondes linguistiques et culturels français et flamand, a facilité l'ascension de ses artistes en France, une porte d'entrée cruciale pour la musique francophone sur la scène mondiale. Leur capacité à mélanger des sonorités urbaines et grand public a propulsé leur succès, non seulement en France mais dans toute l’Europe, prouvant qu’un marché intérieur plus petit peut stimuler la créativité et l'innovation.
L'adoption par les rappeurs montréalais de leur propre identité hybride, leurs collaborations avec des producteurs français, leurs performances dans des festivals internationaux comme M pour Montréal, et leur popularité croissante sur les plateformes de streaming mondiales témoignent de leur influence grandissante. Tous ces éléments participent à positionner Montréal comme un acteur majeur de l’expansion du rap francophone.
« La génération Z est de plus en plus attirée par le rap de niche, explorant des sons au-delà des centres urbains », explique Hypno. « Paris était autrefois l’épicentre, mais aujourd’hui, on voit un intérêt grandissant pour le rap dans des villes comme Lyon, Bordeaux, Toulouse, Bruxelles et bien sûr Montréal. Nous assistons à l’aube d’une nouvelle ère, et le potentiel du rap montréalais est immense. C’est passionnant à observer. »
Avec la demande croissante de concerts de rap français ces deux dernières années, les propriétaires de salles ont rapidement saisi l'opportunité. Des promoteurs locaux comme Evenko, Courage, Ricky D Events et d'autres ont joué un rôle clé en mettant sur scène des talents internationaux et locaux. Nous avons vu des artistes majeurs tels que Niska, Damso, Nihno et Tiakola se produire dans de grandes salles comme la Place Bell à Laval, tandis que des talents émergents comme La Féve, Rsko, 8ruki et Zamdane ont investi des lieux emblématiques comme l'Olympia et le Théâtre Corona. Cette augmentation des performances en direct reflète la popularité et la reconnaissance croissantes de la scène rap française de Montréal, tant au pays qu'à l'étranger.
Cependant, pour que le rap francophone québécois puisse pleinement tirer parti de son élan, il est crucial de bénéficier du soutien des institutions. Malgré son talent et son potentiel indéniables, le genre manque encore de ressources pour prospérer. Les médias québécois accordent peu d'attention à cette scène, qui évolue principalement sous le radar, le rap francophone étant presque absent des ondes radio. Avec des investissements accrus, des plateformes dédiées et une visibilité culturelle renforcée, le Québec pourrait transformer cette vague en un produit d'exportation culturel puissant.
L'opportunité est évidente : en embrassant et en amplifiant ce mouvement naissant, le Québec peut assurer à Montréal sa place non seulement sur la carte musicale mondiale, mais aussi comme leader du hip-hop francophone. Pour l'instant, les artistes jettent les bases, mais c'est au Québec de décider s'il franchira le pont qu'ils ont construit.