Comment le producteur montréalais FREAKEY! a conquis la scène hip-hop en signant des productions pour des artistes internationaux
L'artiste montréalais revient sur son parcours, de ses origines dans une famille haïtienne des quartiers Est de Montréal à ses productions pour des stars internationales, allant du rappeur américain Don Toliver aux poids lourds de la scène musicale belge et française.
FREAKEY! est l'un des secrets les mieux gardés de Montréal.
Originaire de Saint-Léonard et de Repentigny, le producteur montréalais a su bâtir une carrière impressionnante loin des projecteurs. Derrière les coulisses, il a composé des beats pour des poids lourds de la scène internationale, tels que la star américaine Don Toliver (sur son album d'or Heaven or Hell), le Belge Hamza et le rappeur français La Fève, des figures incontournables du hip-hop mondial. Il collabore également régulièrement avec des artistes canadiens de renom, comme le Torontois KILLY et le Québécois Lost.
Malgré ces collaborations prestigieuses, FREAKEY! reste trop souvent dans l’ombre des médias de sa propre province, le Québec — une réalité frustrante au vu de la portée de son parcours et de l’influence qu’il exerce.
Issu d’une famille haïtienne à Montréal, le son de FREAKEY! incarne la richesse culturelle de sa ville. Il fusionne des basses futuristes, une esthétique puisée dans l’univers de la science-fiction et une énergie contagieuse qui propulse ses morceaux au sommet des playlists. Plus qu’un beatmaker, FREAKEY! est un producteur visionnaire, sculptant des sons qui subliment ses collaborateurs et les propulsent à un autre niveau.
Son influence traverse les frontières, de l’Amérique du Nord à l’Europe, avec une présence marquée en France où il collabore régulièrement avec des artistes tels que PLK, S.Pri Noir, Alpha Wann et La Fouine.
En 2025, FREAKEY! dévoilera son nouvel album solo, Au Dessus De L'eau, un projet marquant qui témoigne de son évolution artistique et de sa maturité créative.
Alors, comment un jeune Montréalais réussit-il à s’imposer progressivement mais sûrement sur la scène musicale mondiale ?
Billboard Canada a eu l’opportunité de s’entretenir avec FREAKEY! au début de l’année pour explorer son parcours, son processus créatif et comprendre les secrets de son ascension en tant que l'une des figures les plus captivantes de l’exportation musicale canadienne.
Billboard : Comment ça s'est passé, tes débuts à Montréal, et comment ça a influencé ta carrière d’artiste?
FREAKEY! : J’ai grandi à Saint-Léonard et à Repentigny, dans une famille haïtienne très soudée, où on valorisait beaucoup la créativité et la résilience. À l’école, j’étais pas vraiment un bon élève, et ça me pesait pas mal au début de mon adolescence. Mais vers 12-13 ans, j’ai commencé à voir la musique comme une sortie, un moyen de canaliser mon énergie et de créer quelque chose de significatif. L’ambiance multiculturelle de Montréal a vraiment forgé mon son. J’étais inspiré par tout, mais surtout par les influences internationales, ce qui m’a poussé à me lancer dans la production musicale.
Qu’est-ce que tu écoutais en grandissant et quels genres de sons t’attiraient le plus?
Quand j’étais plus jeune, j’étais à fond dans le rap américain : 50 Cent, Kanye, Bow Wow, et surtout les rappeurs de Chicago. J’étais obsédé par leur vibe et l’énergie qu’ils dégageaient. À 14 ans, ma mère m’a convaincu de me faire un compte SoundCloud et de commencer à partager mes beats. C’est là que ça a vraiment décollé. J’ai commencé à me connecter avec des rappeurs de Chicago et à vendre mes premiers beats. C’est vraiment grâce à SoundCloud que j’ai commencé à me faire remarquer.
Donc, tes premiers beats, c’était pour des Américains?
Exactement. J’étais vraiment attiré par ce son, qui me paraissait différent, et je n’étais pas du tout connecté à la scène montréalaise à ce moment-là. Je pense que c’est pour ça que j’ai toujours pris mon propre chemin.
Comment as-tu rencontré Hamza et comment s’est passée ta première collaboration avec lui?
On s’est rencontrés au Festival Mural à Montréal en 2016, quand il commençait à peine à se faire connaître. Je suis allé le voir directement et je lui ai dit que je produisais pour Rowjay. Il m’a donné son adresse e-mail et j’étais super content. Je lui ai envoyé un e-mail, mais au début, il m’a dit que mon style ne collait pas trop avec le sien. Finalement, on a fait une session en studio ensemble, et une fois qu’il a vu comment je produisais en live, il a vraiment accroché. J’avais 19 ans à l’époque, et c’est là qu’il a pris l’un de mes beats pour son projet 1994, ce qui a été un gros tournant pour lui. J’ai produit le morceau « Mucho Love ». C’est là que tout a changé pour moi – j’ai commencé à être reconnu, et après, tout s’est enchaîné.
Peux-tu expliquer ce qui s’est passé ensuite?
En 2019, ma chanson « Stick » sur l’album Paradise Deluxe de Hamza a marqué un tournant pour moi. C’est à partir de là que mon succès a commencé à prendre de l’ampleur en Europe, et j’ai commencé à collaborer avec des artistes de premier plan comme S.Pri Noir, Alpha Wann, La Fouine, PLK et bien d’autres.
En même temps, j’ai aussi commencé à m’implanter sur le marché anglophone. En 2018, j’ai commencé à travailler avec WondaGurl de Toronto, la productrice de Travis Scott, Rihanna, Pop Smoke, et d’autres. Depuis, on collabore souvent sur des beats ensemble. Elle m’a aussi présenté à un tas de gens dans l’industrie. À Toronto, j’ai eu l’opportunité de travailler avec Killy et Roy Woods.
Aux États-Unis, j’ai eu la chance de bosser avec des artistes comme Key Glock, Young Scooter et Don Toliver, qui ont ensuite sorti plusieurs albums de platine.
En regardant les artistes avec lesquels tu as travaillé, beaucoup d'entre eux ont une approche underground. Qu'est-ce qui t'attire dans leur son?
Je suis super reconnaissant et honoré de pouvoir travailler avec de grands noms. Mais ce qui me plaît vraiment dans mes collaborations avec des rappeurs underground, c’est leur éthique de travail. Il y a une authenticité et une brutalité dans leur approche qui me parlent vraiment. Et puis, la liberté que j’ai dans le processus créatif est totalement différente de celle des rappeurs plus traditionnels. Il y a moins de pression pour suivre une tendance ou un certain son, ce qui me permet d’expérimenter davantage et de prendre des risques. La vision qu’on partage est souvent plus organique et moins influencée par les attentes commerciales.
Ton son a été décrit comme futuriste avec une esthétique « gamer ». Tu en penses quoi?
J’aime bien explorer des sons différents. J’apprécie les bons bangers et l’énergie classique des US, mais je mets aussi ma touche perso. Je me sens comme si je vivais déjà dans le futur, genre en l’an 3050, tu vois?
Quand tu parles de cette « énergie US », tu as une préférence pour les rappeurs américains plutôt que européens? Tu penses qu’il y a une grosse différence entre les deux scènes?
J’ai toujours été à fond dans le hip-hop américain, encore plus que dans le rap européen ou français. Mais au fil du temps, j’ai vraiment fini par kiffer le rap français, surtout après avoir bossé avec des artistes de cette scène. Les paroles, l’énergie, ça m’a séduit. Cela dit, mon but reste surtout le marché américain, car la visibilité et les opportunités là-bas sont carrément d’un autre niveau. Le public est massif et, honnêtement, le potentiel financier est bien plus élevé.
Y a-t-il d’autres scènes que tu aimerais explorer ?
Honnêtement, un jour j’aimerais vraiment me pencher sur l’afrobeat, surtout avec des artistes comme Rema, que j’admire énormément. La scène UK m’attire aussi beaucoup. Ce qui m’impressionne, c’est cette pure créativité, la manière dont ils mélangent différents genres et repoussent les limites. Des artistes comme Len, dans la scène underground, incarnent parfaitement cette vibe, et c’est quelque chose qui m’inspire.
Quelle est ta relation avec les médias québécois? On parle peu de toi, malgré ta carrière impressionnante en tant que jeune producteur.
Franchement, ça me dérange pas trop, mais en même temps, un peu quand même. Je m’en fous dans le sens où je ne me suis jamais senti vraiment représenté par les médias québécois, donc ça m’étonne pas qu’on parle pas de moi. Mais d’un autre côté, j’aimerais être un modèle pour les futures générations, surtout pour ceux qui se sentent perdus et qui croient que la musique, c’est juste un truc de rêveurs. Je suis quelqu’un qui pense que tout est possible, mais sans modèles – surtout pour les jeunes issus de la diversité qui rêvent de devenir producteurs –, c’est difficile de s’en donner les moyens. J’ai jamais vu quelqu’un de ma ville réussir à ce niveau-là. Même quand j’étais en pleine ascension, on entendait plus parler des rappeurs et producteurs de la Rive-Sud que de ceux de Montréal. J’aimerais vraiment plus de reconnaissance, parce que c’est important de montrer que c’est possible, et offrir un exemple aux jeunes comme moi.
Quels conseils donnerais-tu aux jeunes qui souhaitent se lancer dans la production, surtout avec les coûts élevés des équipements?
Excellente question. La base, c’est vraiment juste un ordinateur portable. Si tu n’as pas d’ordi, je peux pas t’aider, mais sérieusement, j’ai produit sur des enceintes à 100 000 $ comme sur des enceintes à 50 $, et franchement, ça change pas grand-chose. Si tu es bon, tu es bon, peu importe le matériel, même si certains diront le contraire. Tu peux avoir tout l’argent du monde et le meilleur matos, mais si t’as pas de talent, ça sert à rien. Si tu déchires vraiment, le bon matériel viendra avec le temps. L’important, c’est de travailler sur ton son et sur toi-même.
Des projets à venir en 2025?
Oui, mon album Au Dessus De L'eau arrive, avec d’autres trucs excitants que je peux pas encore partager. Et j'ai une chose à dire : peu importe ce que la vie t’envoie, faut pas se laisser abattre. Transforme le négatif en positif. Avec cet album, je veux montrer que je prends mon temps, que je grandis et que je fais tout avec intention.