Comment Toronto est devenue le cœur battant de la musique et de la culture durant le parcours des Blue Jays en Série mondiale
De Drake à Justin Bieber, des Jonas Brothers à Geddy Lee, Toronto a vibré au rythme du baseball, de la musique et de la culture mondiale pendant les World Series 2025 — et ce n’était pas un hasard.

Drake au Rogers Centre de Toronto pour le premier match des Séries mondiales 2025.
Si la musique canadienne paraît un peu plus mélancolique au cours de la prochaine année, c’est qu’il y a une bonne raison : partout au pays, les partisans tentent encore de digérer la douleur d’une défaite crève-cœur en Série mondiale. À Toronto, où des fans de tous horizons ont vibré au rythme de la compétition, la ville tout entière en ressent encore l’écho.
Durant une semaine mémorable, Toronto est devenue l’épicentre non seulement du sport, mais aussi de la culture. Alors que les Blue Jays affrontaient les Dodgers de Los Angeles pour le titre suprême du baseball, l’énergie était palpable — au Centre Rogers, dans les salons, les bars et jusque dans les salles de concert.
Mais il ne s’agissait pas simplement de baseball. Le jeu s’est fondu dans le rythme culturel de la ville, brouillant les frontières entre le sport et la musique. Pendant un instant, le baseball est devenu le miroir de la culture canadienne : un moteur d’unité entre générations, artistes et genres, autour d’une équipe qui semblait incarner bien plus que Toronto.
Pour les groupes qui montaient sur scène lors du match décisif n°7, le samedi soir (1er novembre), la solution a été créative : les Beaches ont suivi la rencontre sur un iPad en plein concert, tandis que les Born Ruffians la projetaient derrière eux, mêlant musique et sport dans une même ferveur collective.
@thebeachesband priorities!!!! #bluejays #worldseries
Au Centre Rogers, les artistes se sont pleinement imprégnés de l’ambiance du match. Geddy Lee, collectionneur de baseball et superfan de Rush, était un visage familier, demeurant rivé à son siège tout au long de la série. Max Kerman, chanteur des Arkells, s’est joint à un musicien de rue pour interpréter des chansons de The Tragically Hip aux côtés de fans exaltés. Justin Bieber, quant à lui, est venu assister au match avec sa femme Hailey, tout juste arrivés de Los Angeles — elle portait pour l’occasion un maillot des Blue Jays à son nom… un clin d’œil amusant au lanceur Shane Bieber, et non à son mari.
Même Drake, habituellement associé aux Raptors de Toronto, a troqué sa place habituelle au bord du terrain de la Scotiabank Arena pour une loge privée au Centre Rogers, où il a assisté aux matchs 1, 6 et 7 des Séries mondiales. Au concert de Vybz Kartel présenté par OVO à Toronto, la légende jamaïcaine du dancehall arborait d’ailleurs un maillot personnalisé des Blue Jays.
Alors que de nombreux rappeurs s’inspirent de figures comme Steph Curry, Kobe Bryant ou Allen Iverson, la culture du baseball semble, elle, traverser les époques. Les chansons associées à ce sport remontent souvent à plusieurs décennies — voire un siècle — évoquant Babe Ruth et Joe DiMaggio plutôt que Shohei Ohtani ou Vladimir Guerrero Jr.
Mais cette image est en train d’évoluer. De l’assurance naturelle de Vladdy à la camaraderie sincère incarnée par Ernie Clement, les Blue Jays de 2025 regorgent de personnages charismatiques et d’histoires inspirantes. Le visage du baseball change, tout comme sa base de partisans.
Alors que le basketball s’enorgueillit de sa mondialisation récente, le baseball, lui, a depuis longtemps conquis le monde et continue d’y étendre son influence. Cette Série mondiale a réuni des joueurs venus du Canada, des États-Unis, de la République dominicaine, du Venezuela, du Mexique et d’ailleurs, tandis que des vedettes des Dodgers comme Ohtani, Roki Sasaki et Yoshinobu Yamamoto sont devenues de véritables icônes culturelles au Japon. La saison 2025 de la Ligue majeure de baseball s’est d’ailleurs ouverte au Japon et s’est conclue au Canada — une première historique.
Cette portée mondiale, étroitement liée à la culture musicale et à la présence des célébrités, n’a rien d’un hasard. Uzma Rawn Dowler, directrice marketing de la Ligue majeure de baseball, explique que la ligue a volontairement intégré la musique à l’ADN du jeu.
« La musique est un élément incontournable du baseball », confie-t-elle à Billboard Canada lors du sixième match au Centre Rogers. « Nous avons les musiques d’entrée des joueurs, mais nous savons aussi que la musique est une passion commune à nos jeunes partisans, issus de milieux très variés. »
Cette stratégie s’étend à la création de moments authentiques dans chaque marché. « Nous voulons être en phase avec les villes où nous jouons », poursuit Dowler. « À Toronto, nous avons accueilli Drake pour le premier match, et il était de retour pour les sixième et septième. À Tokyo, pour notre match d’ouverture entre les Dodgers et les Cubs, nous avons programmé des artistes locaux qui parlaient directement au public japonais. »
La vision de Dowler — donner au baseball une pertinence musicale et culturelle comparable à celle des autres grands sports — se reflète aussi sur le terrain.
« Si vous entrez dans un vestiaire, vous entendrez de tout », souligne EJ Aguado, vice-président à l’engagement des joueurs et aux relations avec les célébrités à la Ligue majeure de baseball. « Des styles musicaux variés, des origines multiples, des langues différentes. On retrouve cette diversité non seulement chez les joueurs, mais aussi parmi les artistes et les personnalités qui gravitent autour du sport. C’est une représentation fidèle de notre réalité. »
Interrogé sur ce qu’il écoute avant les matchs, Teoscar Hernández — ancien joueur des Blue Jays et désormais membre des Dodgers de Los Angeles — confie à Billboard Canada qu’il préfère ralentir le rythme.
« Pour moi, c’est surtout un moment de calme », explique-t-il. « J’écoute beaucoup de musique chrétienne. Ça m’aide à me détendre et à me concentrer avant le match. »
De son côté, Bo Bichette — ancien arrêt-court des Blue Jays devenu joueur de deuxième but — a confié : « Je suis un immense fan de [Justin] Bieber. » Il s’est dit ravi de voir la star canadienne assister au match à Los Angeles pour encourager les Jays.
Chaque joueur avait sa propre musique d’entrée, allant du puissant morceau rock « B.Y.O.B. » de System of a Down (Addison Barger) à « Pink Pony Club » de Chappell Roan (Davis Schneider). Vladimir Guerrero Jr. privilégiait les titres d’Eladio Carrión, artiste de trap latino et de reggaeton qui s’est produit lors de matchs à Los Angeles, tandis qu’Alejandro Kirk optait pour des chansons régionales mexicaines signées Xavi. Ironie du sort : le plus grand succès canadien venait d’un joueur des Dodgers — Shohei Ohtani est entré sur la version de « Feeling Good » interprétée par Michael Bublé, laissant les partisans des Blue Jays partagés entre fierté nationale et légère amertume.
On sentait la ville — et tout le pays — se rassembler, unis par une même ferveur, et cette énergie se traduisait jusque dans la bande sonore. The Weeknd a collaboré avec les Blue Jays pour une collection de produits dérivés exclusifs, tandis qu’Abel Tesfaye prêtait sa voix à une vidéo promotionnelle diffusée sur Rogers Sportsnet. Une nouvelle version de « I Want It All » de Queen, interprétée par l’Orchestre symphonique de Toronto, est même devenue le cri de ralliement officiel de l’équipe.
Cette saison, l’artiste de Scarborough Azeem Haq s’est associé au rappeur Choclair pour revisiter « OK Blue Jays », l’hymne classique de l’équipe joué durant la pause de la septième manche. Pendant les séries éliminatoires, cette version a été diffusée sur Sportsnet et est rapidement devenue virale sur Instagram, reprise par les partisans pour encourager leur équipe. La chanson intègre un clin d’œil au couplet « like Carter did to Philly » tiré du succès canadien de Choclair « Let’s Ride » (1990), une référence à la victoire historique des Blue Jays lors de la Série mondiale de 1993 — un rappel des grandes heures de la franchise et de son héritage en séries éliminatoires.
Haq confie à Billboard Canada qu’il était présent aux Séries mondiales de 1992 et 1993, lorsque les Blue Jays ont remporté deux championnats consécutifs. Il assistait aux matchs avec son père et son oncle, et se réjouit aujourd’hui de transmettre cette passion à ses quatre neveux, tous présents sur le morceau. « C’est une histoire de génération en génération », explique-t-il. « Mon père m’a transmis cet amour, et je le transmets à mes neveux. »
Cette fois-ci, les prises de position politiques n’ont pas suscité le même engouement que lors du Tournoi des Quatre Nations de la LNH, qui avait opposé le Canada et les États-Unis dans un contexte international tendu plus tôt cette année. Une polémique a toutefois éclaté après que certains artistes ont modifié les paroles de « Ô Canada » avant les matchs de la Série mondiale : JP Saxe a repris la version « home on native land » popularisée par Jully Black, tandis que Rufus Wainwright a chanté « that only us command », une variation déjà utilisée par Chantal Kreviazuk lors de ce même tournoi de hockey.
La performance des Jonas Brothers pendant le deuxième match a également fait débat parmi les partisans. Le trio a interprété une chanson juste après un hommage émouvant à la lutte contre le cancer diffusé entre les manches. Si le spectacle de la mi-temps fait partie intégrante du Super Bowl, la MLB n’intègre généralement pas d’intermède musical aussi scénarisé. Dowler précise toutefois que « le temps entre les manches était identique à celui des hommages précédents — la seule différence, c’est que nous avons choisi les Jonas Brothers plutôt qu’une publicité. »
Un effort concerté a néanmoins été déployé pour attirer des célébrités tout au long de la série. À Los Angeles, des vedettes comme Brad Pitt et Sydney Sweeney ont assisté au match, tandis qu’à Toronto, un tapis rouge a été installé pour une séance photo avec le trophée du commissaire, permettant à des personnalités comme PK Subban, Jerry O’Connell et Paul Wesley (The Vampire Diaries) d’y poser. À Toronto également, Pharrell Williams a ouvert la série en interprétant, avec le chœur gospel Voices of Fire, une version flamboyante de l’hymne national américain.

Même au milieu de la déception, quelque chose avait changé. Le baseball — souvent perçu comme un sport plus lent, plus contemplatif — s’est soudainement imposé au cœur de la culture canadienne. À Toronto, l’atmosphère rappelait l’une des plus grandes vagues de fierté et d’énergie collective depuis la victoire des Raptors en 2019, un sentiment que la ville attendait avec impatience depuis le début de la pandémie.
Le septième match des Séries mondiales 2025 est devenu le match de baseball le plus regardé depuis 2017, attirant cinq millions de téléspectateurs de plus que le septième match des finales de la NBA cette année-là. Le baseball s’ancre désormais plus profondément que jamais dans la culture populaire — et cette série haletante entre les Blue Jays et les Dodgers y a largement contribué.
« Je pense que nous sommes actuellement au sommet de la vague », affirme Uzma Rawn Dowler, évoquant l’impact culturel mondial du sport. « Ce n’est plus surprenant pour le baseball. C’est ce que les partisans attendent désormais de la MLB — et c’est ce qui nous enthousiasme vraiment. »
« C’est formidable d’accueillir des artistes musicaux et de montrer que les plus grandes stars sont présentes sur la plus grande scène du baseball », ajoute EJ Aguado, précisant que les invités approchés sont de véritables passionnés du sport, et non de simples figures médiatiques. « C’est le cœur même de l’univers sportif actuel : réunir au même endroit les plus grands noms, sur le terrain comme en dehors. »
Pendant quatre matchs des Séries mondiales, ce cœur battait à Toronto. La série s’est conclue par une défaite crève-cœur, mais elle a ravivé une passion pour le baseball qui perdurera bien au-delà de 2025 — et pourrait même inspirer de nouveaux hymnes aux Blue Jays.


















