Panos A. Panay, président de la Recording Academy, évoque le Canada, Diljit Dosanjh et l’avenir international des Prix Grammy
De retour à NXNE, son terrain de jeu de prédilection, l’influent producteur de musique a fait forte impression lors du Sommet international de Billboard. Découvrez ce qui a rendu cette édition si spéciale à ses yeux.

Panos A. Panay
Le paysage musical évolue à grande vitesse, et Panos A. Panay, président de la Recording Academy et des Grammys, se trouve au cœur de cette transformation.
Cette semaine, le 11 juin, Panay a réalisé une entrevue avec la superstar pendjabi Diljit Dosanjh lors du Sommet international de Billboard au NXNE. Pour lui, cet échange marque un tournant dans la musique mondiale, où des sonorités issues de cultures et langues diverses viennent rivaliser avec le courant dominant anglo-américain. Célébrer l’universalité de la musique dans la ville multiculturelle de Toronto prend ainsi un sens tout particulier.
Panos A. Panay a passé plusieurs années formatrices au Canada, un pays qu’il considère presque aussi familier que sa terre natale, Chypre. Cette double appartenance a façonné sa vision du monde, sa carrière, et influence grandement son travail à la tête des Grammys, eux aussi en pleine mutation. Depuis sa prise de fonction en 2021, aux côtés du PDG Harvey Mason Jr., il œuvre à faire évoluer l’Académie afin qu’elle reflète mieux la diversité d’une nouvelle génération d’artistes et qu’elle s’adapte aux mutations de l’industrie musicale.
Avant de rejoindre la Recording Academy, Panay a fondé Sonicbids, une plateforme en ligne qui l’a conduit à participer à plusieurs éditions du NXNE — un peu comme revenir chez soi.
Dans cette entrevue exclusive avec Billboard Canada, Panos A. Panay revient sur son échange avec Diljit Dosanjh, les changements aux Grammys, et les perspectives d’avenir pour la musique canadienne.
Qu’est-ce qui rendait cette première entrevue avec Diljit Dosanjh si particulière pour vous ?
« C’est une expérience unique, car la musique est universelle. Pendant 50, 60, voire 70 ans, l’industrie musicale moderne a surtout été dominée par une perspective anglo-américaine. Aujourd’hui, nous vivons un tournant : la musique d’artistes non anglophones gagne non seulement en popularité sur leurs marchés locaux, mais aussi à l’échelle mondiale. Le fait de pouvoir utiliser une ville aussi multiculturelle que Toronto comme plateforme pour porter ce message lui donne toute sa portée. »
Parlez-nous de votre éducation et de votre lien avec le Canada.
« À l’âge de trois ans, mes parents ont quitté Chypre pour Fredericton, puis Toronto, où mon père poursuivait son doctorat. C’est là que j’ai appris l’anglais. Quand je suis retourné à Chypre à cinq ans et demi, j’avais déjà un lien très fort avec le Canada. Aujourd’hui, je me considère à bien des égards plus Canadien que Chypriote. Cette période a eu un impact profond sur moi, que ce soit sur mon sentiment d’appartenance en Amérique du Nord ou sur ma manière d’appréhender ma biculturalité.
Vivre au Canada durant ces années formatrices a largement influencé ma vision du monde et ma carrière. Je me sens à l’aise entre différents continents et cultures. Cela m’a aussi appris que beaucoup de vérités sont relatives : ce qui est vrai pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. »
Comment avez-vous débuté à la Recording Academy ?
« J’ai commencé il y a presque quatre ans, jour pour jour. Ce fut une expérience étrange, car j’ai été embauché en pleine pandémie et tous mes entretiens se sont faits via Zoom, depuis Chypre, mon pays natal. Je n’ai rencontré personne en personne avant de prendre l’avion pour les États-Unis. C’était une période d’incertitude, donc très surréaliste. Atterrir à Los Angeles m’a paru... tout simplement irréel. »
À votre arrivée, les Grammys traversaient une période de transition. Quelle était votre mission à ce moment-là, et où en étaient les Grammys et la Recording Academy ?
« J’ai rejoint l’organisation à une époque de profonds bouleversements. Harvey Mason Jr., le PDG, et moi-même sommes arrivés quasiment en même temps. Il assurait alors l’intérim avant de devenir PDG à temps plein. Les Grammys vivaient un tournant majeur, non seulement au sein de l’Académie, mais dans toute l’industrie musicale. Notre priorité était d’accompagner l’organisation dans sa transformation tout en préparant le terrain pour une nouvelle génération de créateurs, et en renouant avec l’écosystème musical dans son ensemble.
Notre mission reste de guider cette institution emblématique vers son prochain chapitre. Je suis fier du chemin parcouru, mais il reste encore beaucoup à faire. Et honnêtement, c’est ce qui me motive chaque matin. »
Panos A. PanayRaphaële Sohier
Qu’espérez-vous faire évoluer avec les Grammys, et où voyez-vous les plus grandes opportunités de croissance ?
Nous avons accompli beaucoup de progrès, notamment en ce qui concerne la transformation de notre groupe de membres. Au cours des cinq dernières années, plus de 3 000 nouvelles votantes ont rejoint l’Académie, et aujourd’hui, 40 % de nos membres sont des créateurs musicaux issus de communautés racisées. Plus de 60 % des votants ont adhéré à l’organisation au cours des cinq dernières années, grâce à un processus rigoureux de renouvellement. Comme toute organisation électorale, il est essentiel que nos membres reflètent la diversité et la richesse de la communauté musicale dans son ensemble — un travail qui se poursuit sans relâche.
Parallèlement, nous consolidons notre rôle de défenseurs des intérêts des créateurs, notamment en matière de politiques publiques liées aux droits de propriété intellectuelle. Cet enjeu est devenu encore plus crucial avec l’essor de l’intelligence artificielle et les défis qu’elle pose aux créateurs. Nous faisons aussi face à la mondialisation : en tant qu’organisation vouée à ce que je considère comme l’un des groupes les plus essentiels de la société — la communauté créative — nous devons constamment nous interroger : comment croître ? Comment évoluer pour continuer à soutenir efficacement les créateurs, au-delà des frontières, des styles et des générations ? Comment élargir notre champ d’action pour inclure le plus grand nombre possible d’artistes, notamment ceux qui ne sont pas limités aux États-Unis ? Voilà la véritable question. Il s’agit de bâtir et de pérenniser une institution de remise de prix qui reflète la diversité incroyable de la musique créée, non seulement aux États-Unis, mais partout dans le monde.
En tant qu’organisation, nous avons la responsabilité d’être présents — que ce soit par notre plaidoyer, en offrant un soutien fiable à nos membres, ou en proposant des outils pédagogiques pour les accompagner dans un secteur en constante évolution. Et bien sûr, en tant qu’instance qui célèbre l’excellence, nous devons veiller à reconnaître et honorer l’évolution du paysage musical mondial. Beaucoup reste à accomplir, mais sans cette ambition, je ne serais pas ici aujourd’hui.
Cette année, certains artistes ayant boycotté les Grammy Awards, comme The Weeknd, sont revenus sur la scène. Qu’est-ce qui a permis ce regain de confiance ?
Les artistes constatent les efforts accomplis. En fin de compte, ils reconnaissent la sincérité et la volonté de notre organisation de rester pertinente et d’être une référence. Je crois fermement que lorsque le travail est visible et les intentions sincères, la communauté artistique le perçoit.
L’industrie musicale est aujourd’hui plus internationale que jamais, avec des artistes de Corée, d’Inde, d’Amérique latine et d’autres pays qui gagnent en reconnaissance, notamment aux Grammys. Quelle importance accordez-vous à cette évolution ?
Il y a deux ans, nous avons créé la catégorie « Meilleure performance musicale africaine ». Vous avez sans doute remarqué l’importance grandissante de la musique mondiale, de Bad Bunny en ouverture il y a quelques années à Dua Lipa, d’origine albanaise. La consommation musicale est désormais mondiale, et des scènes émergentes de partout sur la planète s’imposent sur la scène internationale. C’est magnifique.
Je suis convaincu que nous traversons une période exceptionnelle. On observe une influence mondiale croissante — qu’il s’agisse de la K-pop avec BTS, de l’afrobeat, de l’amapiano ou du highlife africain. Et soyons honnêtes : même la musique occidentale actuelle est façonnée par le monde entier. On peut dire que l’Afrique a contribué à presque tous les genres musicaux existants. C’est formidable de pouvoir enfin reconnaître et célébrer ces apports à ce que nous appelons la musique populaire.
Vous avez parlé de confiance retrouvée et de revitalisation des Grammys. Quels conseils donneriez-vous aux organisateurs d’autres cérémonies de remise de prix, au Canada ou ailleurs, confrontés à ces mêmes défis ?
Pour nous, c’est un travail constant de faire en sorte que notre cérémonie demeure la plus prestigieuse possible. Nous savons qu’un Grammy, même une simple nomination, peut avoir un impact profond — pas seulement en termes d’écoute ou de ventes, mais aussi dans toutes les sources de revenus : tournées, édition musicale, tout.
Cet impact repose sur l’intégrité de la distinction. Nous portons une grande attention aux catégories que nous créons et à la manière dont nous honorons la musique. Nous n’ajoutons pas une douzaine de catégories chaque année sans réflexion. L’évolution de nos règles est le fruit d’une réflexion approfondie. Nous sommes une organisation démocratique, et nos 13 000 membres votants jouent un rôle clé dans la préservation du processus et dans la définition de la véritable valeur d’une nomination aux Grammy Awards.
Ce n’est pas un hasard si la victoire d’un Grammy est la première chose mentionnée dans une biographie, ou dans une nécrologie. C’est une distinction que les artistes portent avec fierté et qui mérite d’être protégée — au sein de nos membres, dans le vote et dans la structuration des catégories. C’est ainsi que nous créons une plateforme où les artistes se sentent réellement honorés d’être nominés ou récompensés.
Qu’est-ce qui distingue la scène musicale canadienne selon vous, et pourquoi est-il important de continuer à soutenir les talents émergents ici ?
J’ai un attachement particulier au Canada en raison de mes liens personnels, mais j’ai aussi un immense respect pour la communauté musicale du pays, qui se démarque toujours. Les artistes canadiens ont influencé le monde entier. C’est absolument incroyable. Je me réjouis que des festivals comme NXNE continuent d’offrir une plateforme aux jeunes talents canadiens émergents et poursuivent dans cette voie.
Je pense qu’un défi lié au marché du streaming est que beaucoup d’artistes anglophones se retrouvent ensemble dans un environnement très compétitif. Mais il est crucial pour le Canada, ses événements, son industrie et ses institutions publiques de continuer à investir dans le développement des jeunes artistes. L’héritage est là, solide et durable. J’espère donc que nous verrons encore émerger davantage de talents exceptionnels au Canada, comme cela s’est fait au cours des 100 dernières années.