La Mar Taylor, cofondateur de XO Records, nommé premier Visionnaire « 40 Under 40 » de Billboard Canada : entrevue exclusive
Directeur créatif de The Weeknd et lauréat spécial du palmarès « 40 Under 40 » de Billboard Canada, La Mar Taylor a contribué à faire de XO un empire mondial qui redéfinit la culture, tout en inspirant la prochaine génération de créateurs canadiens à HXOUSE. Il revient ici sur la vision qui a guidé une carrière sans limites.

La Mar Taylor
Cet été-là, sous la lueur des LED de la tour du CN et l’ombre d’un gigantesque robot chromé, entouré de sa famille et de ses amis d’enfance, La Mar Taylor a senti une larme lui monter aux yeux.
C’était le sixième concert à guichets fermés de la titanesque tournée After Hours Til Dawn de The Weeknd, au Rogers Centre de Toronto — le stade de 50 000 places où les Blue Jays allaient jouer la Série mondiale quelques mois plus tard — un record pour un artiste canadien. Pour Taylor, directeur créatif de longue date de The Weeknd et cofondateur de son label XO Records, ce moment représentait l’aboutissement de toute une carrière.
« Tout ce que j’ai appris, tout ce que j’ai fait, toutes les erreurs que j’ai commises et les réussites que j’ai eues… j’ai l’impression que tout menait à ce moment-là », confie-t-il à Billboard Canada.
« C’est, je crois, le meilleur spectacle qu’on ait fait sur toute la tournée, à cause de cette histoire — juste des gamins de Scarborough, sans nom, sans identité, sans rien, qui remplissent six fois un stade à Toronto. C’est fou. Ça montre aux gens de Toronto qu’il n’y a pas de limites. Tu peux être qui tu veux, faire ce que tu veux. »
Cette tournée, qui a fait salle comble dans des centaines de stades à travers le monde depuis 2023, a battu des records et est devenue la plus grande tournée R&B de l’histoire, selon Billboard Boxscore. C’est la plus récente réussite d’une carrière qui en compte déjà beaucoup : des records de palmarès pour The Weeknd — dont le plus long règne de l’histoire du Hot 100 avec « Blinding Lights » —, un empire florissant alliant musique, cinéma et mode, un incubateur pour la nouvelle génération de créateurs, et même un spectacle à la mi-temps du Super Bowl.
Une liste d’accomplissements que beaucoup contempleraient avec fierté au moment de prendre leur retraite. Mais pour Taylor, 35 ans, et ses collaborateurs créatifs, l’aventure ne fait que continuer.
« Quand on pense à tout ce qu’on a fait, ce sont des choses qu’un artiste accomplit habituellement en fin de carrière », explique-t-il. « Mais nous, on les a faites au milieu de la nôtre, et il nous reste encore tant d’espace pour grandir. On est là pour longtemps. Si Dieu le veut, ça ne s’arrêtera jamais. »
Quand Taylor a rencontré Abel Tesfaye, l’homme derrière le personnage de The Weeknd, ils étaient tous deux étudiants à la Birchmount Park Collegiate Institute, une école secondaire du quartier torontois de Scarborough. Selon leur histoire devenue légendaire, les deux amis ont quitté l’école ensemble pour poursuivre leurs rêves parallèles dans les arts — Tesfaye dans la musique, Taylor dans la photographie cinématographique.
À l’époque, Tesfaye travaillait sur une mixtape R&B et avait besoin d’une pochette d’album. Il a donc demandé à Taylor de la photographier. Son cliché en noir et blanc, troublant, d’une jeune femme dont le visage est dissimulé par un bouquet de ballons, correspondait parfaitement à l’ambiance sensuelle et nocturne du projet. La photo est rapidement devenue la couverture du premier projet marquant de The Weeknd, House of Balloons, en 2011.
« On a lancé ce projet et il est parti dans la stratosphère », se souvient Taylor.

Ce moment charnière les a propulsés sur une trajectoire que peu auraient pu prévoir. Bien avant d’imaginer des trilogies d’albums conceptuels, de collaborer avec des producteurs comme Max Martin ou Daft Punk, ou encore de produire des longs métrages ancrés dans leur univers, ils n’étaient qu’un groupe de jeunes artistes ambitieux cherchant comment concrétiser leurs grandes idées.
Leur esprit commun du do it yourself a donné naissance à XO Records — mais avant tout, par nécessité. En repensant à ces années fertiles du début des années 2010 depuis Los Angeles, où il partage désormais sa vie entre Miami et Toronto, Taylor se souvient d’un paysage créatif canadien bien différent.
« Quand on a commencé, il n’existait pas de communauté créative comme celle d’aujourd’hui », raconte-t-il.
La ville débordait de talents et d’idées, explique-t-il, mais il n’y avait pas de collectifs accessibles pour collaborer, ni de véritable structure ou d’industrie pour soutenir cette effervescence.
« L’une des plus grandes richesses du Canada, c’est la créativité », affirme Taylor. « Mais nous n’avons pas encore une économie créative capable de soutenir durablement les talents que nous avons. »
Les choses s’améliorent, ajoute-t-il, mais de nombreux obstacles persistent. Dans une grande ville américaine comme Los Angeles ou New York, on est entouré d’occasions, de financement et de mentorat — une réalité beaucoup plus rare au Canada. Et comme l’ont montré plusieurs études récentes, cela s’applique d’autant plus aux jeunes créateurs noirs, qui apportent une immense valeur à l’industrie musicale canadienne tout en faisant face à des obstacles systémiques, au racisme et au manque de représentation.
« C’était l’un des plus grands défis, et c’est pour cette raison que mes partenaires et moi avons créé HXOUSE : pour offrir un espace d’égalité, pour amener le monde à Toronto », explique-t-il.
Fondé en 2018 avec Abel Tesfaye et Ahmed Ismail, HXOUSE est un incubateur créatif destiné à offrir des studios, des espaces de travail, du mentorat et des opportunités à la communauté torontoise émergente de créateurs et d’entrepreneurs.
Le lieu est rapidement devenu un vivier de talents, propulsant les carrières de plusieurs « résidents », dont Mr. Saturday (designer de mode et directeur créatif en résidence chez Roots) ou encore Patricia Roque (directrice mondiale du design conceptuel chez Jordan Brand), sans oublier de nombreux musiciens et artistes.
HXOUSE propose des programmes, des espaces et des occasions de réseautage, tout en invitant des mentors prestigieux et des conférenciers d’envergure comme le producteur vedette Metro Boomin, les réalisateurs The Safdie Brothers ou encore l’artiste et scénographe Es Devlin.
« On s’est constitué un incroyable carnet d’adresses avec certaines des personnes les plus brillantes et talentueuses du monde », souligne Taylor. « Je crois qu’on a redonné espoir à beaucoup de jeunes. Une conversation de cinq à dix minutes — parfois même de soixante secondes — peut changer toute une trajectoire. Il suffit de leur dire : “Continue. Tu l’as. Peu importe ce que c’est, tu vas y arriver si tu ne lâches pas.” Ça leur montre qu’ils comptent, et qu’ils peuvent réaliser leurs ambitions. »
C’est cette philosophie qui anime Taylor, dont la devise — et désormais le nom de son entreprise — No More Dreams est tatouée sur son cou : considérer ses ambitions comme des objectifs atteignables, et non comme des rêves lointains.
C’est ce principe qui a guidé toute sa carrière, à la croisée de la musique, de l’art, de la mode, du cinéma et de l’entrepreneuriat. Il ne cherche pas à la définir — justement pour ne pas se limiter.
« J’ai toujours été inspiré par cette célèbre citation de Bruce Lee : “Sois comme l’eau” », explique-t-il. « Adapte-toi à la forme de ce que tu veux accomplir et ne t’enferme jamais dans une boîte. J’ai tout exploré dans les arts, que ce soit en créant moi-même ou en collaborant avec d’autres. Je peux exprimer ma vision artistique — et c’est la même chose en affaires. Tout part de là : savoir ce que tu veux faire, ce que tu veux dire et comment tu veux l’apporter au monde. »

C’est ainsi qu’il travaille avec The Weeknd : en l’aidant à donner vie à ses grandes idées — qu’il s’agisse de vinyle, de scène, d’écran ou de spectacles mondiaux comme le Super Bowl. « Abel trace la carte, et nous traçons la route », résume-t-il. Peu importe l’ambition du concept, Taylor et ses collaborateurs trouvent toujours un moyen de le concrétiser.
La tournée After Hours Til Dawn est une expérience narrative et immersive, une extension de l’univers des trois albums de The Weeknd — After Hours (2020), Dawn FM (2022) et Hurry Up Tomorrow (2025). On y retrouve d’imposants décors, des masques, des costumes et une profusion de pyrotechnie. Chaque détail a été analysé en ligne, les fans disséquant la symbolique du spectacle comme s’il s’agissait d’un film de Christopher Nolan — un phénomène que Taylor adore observer.
« Quand je vais sur Reddit ou sur les forums et que je vois les fans analyser la chorégraphie, la mise en scène, la setlist ou les visuels à l’écran, ça me fascine », dit-il. « J’adore ce dialogue créatif, j’adore que les gens imaginent leurs propres interprétations de l’histoire. Pour moi, c’est tout ce qui compte. »
S’il en est arrivé à créer des visions d’une telle ampleur, c’est parce qu’il s’est toujours poussé à surpasser ce qu’il avait fait auparavant, à repousser ses limites. C’est aussi le message qu’il transmet à la nouvelle génération d’artistes.
Mais Taylor ne maquille pas la réalité : selon lui, l’industrie canadienne traverse une période difficile.
« Le Canada est dans une situation très critique en ce moment », dit-il franchement. « L’économie va mal, et ça empire. Le leadership est faible, il n’y a personne à la barre pour amener le pays là où il devrait être. Les ressources sont rares et limitées. Personne ne peut se payer une maison. Les loyers explosent. Il y a un manque d’occasions, un manque de moyens, et beaucoup de créateurs se voient exclus de la création — non pas par choix, mais parce qu’ils doivent se concentrer sur la survie, sur le paiement des factures et du loyer. »
D’une certaine façon, cette réalité rappelle celle dans laquelle lui et Tesfaye ont grandi : un environnement riche en talents, mais pauvre en structures, qui poussait les jeunes les plus prometteurs à partir vers les États-Unis ou l’Europe. L’ambition de Taylor est de bâtir à Toronto un écosystème où les artistes peuvent s’épanouir sans devoir s’exiler — tout en restant lucide. Si les structures n’existent pas, il faut redoubler de persévérance et d’ingéniosité. Il croit néanmoins que la résilience et la créativité naissent souvent dans l’adversité.
« Les temps difficiles forgent les individus forts », affirme-t-il. « Mon conseil serait de t’enfermer dans ton art et de le perfectionner. Sois vraiment exceptionnel. Il n’y a pas de place pour la médiocrité — sois grand. »
La Mar Taylor est le lauréat du tout premier Prix Visionnaire du palmarès « 40 Under 40 » de Billboard Canada. Il recevra cet honneur spécial lors de la célébration Billboard Canada 40 Under 40, qui se tiendra au W Toronto le 20 novembre. Les billets sont disponibles ici.


















