Repenser la culture rave : comment Montréal apprécie la musique électronique dans de nouveaux contextes
Des lieux comme le Café GotSoul, le Café SAT x Shift Radio et le Café Famé sont en train de réinventer la vie nocturne montréalaise. En s’éloignant du modèle classique du club, ils proposent des espaces inclusifs et innovants où la musique électronique s’épanouit dans des contextes nouveaux et inattendus.

Café GotSoul
Montréal est en train de repenser le concept même du rave.
Longtemps associée aux nuits blanches et aux dancefloors embrumés, la musique électronique explore aujourd’hui des territoires plus calmes, en plein jour et sans substances.
C’est le pari de Café GotSoul, fondé en 2021 par le DJ Jojoflores, qui s’inspire des jazz kissas japonaises — des bars d’écoute intimistes centrés sur la qualité sonore et la musique soigneusement sélectionnée.
« Les espaces sans alcool rendent la musique accessible à ceux qui ne boivent pas pour des raisons religieuses, culturelles, de santé ou simplement personnelles, » explique Jojoflores à Billboard Canada. « Ce sont des lieux ouverts à tous les âges, qui favorisent une vraie mixité générationnelle et une expérience musicale plus profonde, plus authentique. »
En retirant l’alcool de l’équation, GotSoul invite à une autre forme de présence. Plus intentionnelle.
« Proposer un espace musical sans alcool nous distingue des bars, restos et clubs, » ajoute-t-il. « Ça attire une clientèle de niche, mais fidèle. »
D’autres lieux renforcent cette tendance. OSMO x Marusan et Café SAT x Shift Radio créent des espaces hybrides où musique, communauté et discussions cohabitent en journée, dans une vibe plus relax.
Charles Rainville, cofondateur de Shift Radio, qui diffuse chaque semaine depuis le Café SAT, pointe du doigt la culture de l’alcool au Québec : « Il manque une vraie éducation autour de l’alcool et des drogues. Comme c’est souvent vu comme un sujet tabou, les gens ont tendance à en abuser. Et quand les clubs ferment à 3h, ça pousse à consommer vite. »
Pour lui, leurs événements ne sont pas des soirées club classiques : « Ce sont des rassemblements ouverts et réfléchis, où la musique est centrale, et où l’objectif, c’est de connecter – pas de fuir. »
L’arrivée récente du Café Famé dans le Mile End donne encore plus d’élan à ce virage. Pensé comme un lieu d’écoute avant tout, il met l’accent sur l’immersion et la présence plutôt que sur la fête à tout prix.
Pour Jamal Davis, programmateur chez Café Famé et Shift Radio, ces lieux sont essentiels :
« Les artistes évoluent souvent dans des milieux où l’usage de substances est normalisé. Il faut offrir des alternatives à ceux qui aiment la musique électronique sans vouloir subir cette pression. Sans tout ça, on est encore plus connectés à la musique. »
Et ce recentrage parle fort aux nouvelles générations. De plus en plus de jeunes adultes s’identifient comme « sober curious ». Ils redéfinissent les codes du plaisir et du lien social.
Selon un article de la BBC en 2022, la Gen Z boit moins que les générations précédentes — pas forcément par abstinence stricte, mais par choix conscient, pour rester plus connectée à soi et aux autres.
Pour Jojoflores, ce changement est aussi générationnel :
« Spotify, YouTube, TikTok, les reels… ont remplacé les CD, la radio, les vinyles. Les jeunes découvrent la musique en fragments. Ils ne se contentent pas de la consommer, ils la contextualisent dans leur quotidien. Ça crée un vrai besoin d’espaces inclusifs et safe où la musique peut être vécue de façon plus intentionnelle. »
Jamal est sur la même longueur d’onde :
« Les jeunes sont plus à l’écoute, plus sensibles à une autre manière de vivre la musique. Ils nous soutiennent, et ils nous poussent même à rester sur la bonne voie. Je pense qu’ils vont porter tout ça encore plus loin. »
Charles renchérit :
« Ils sont aussi plus ouverts à parler de santé mentale et de mieux-être. Les espaces musicaux s’adaptent. Raves sobres, salles d’écoute ambient, événements diurnes en plein air… Ce n’est plus “go hard or go home”, mais plutôt : créer des moments émotionnellement riches et accessibles. »
La culture électronique sobre n’est pas née d’hier. En 2013, Morning Gloryville, à Londres, lançait les premiers morning raves sans drogues ni alcool. Un concept révolutionnaire qui célébrait la musique électronique dans une ambiance lumineuse, joyeuse et sans artifice.
L’événement a attiré un public ultra divers — des familles aux fans de yoga — ouvrant la voie à une rave culture plus saine et plus consciente. Depuis, des initiatives similaires ont vu le jour ailleurs, comme Coffee Party à Toronto, qui rassemble des milliers de personnes moins d’un an après son lancement.
Au Canada, la santé mentale dans l’industrie musicale est un sujet brûlant. Soundcheck, un rapport réalisé par Revelios avec la SOCAN et le Unison Fund, met en lumière l’impact du stress, des substances et de l’instabilité financière sur les travailleurs de la musique.
Ces données renforcent l’appel à des structures de soutien… et expliquent pourquoi artistes et publics cherchent des alternatives aux soirées classiques.
La musique électronique a toujours été un espace d’évasion — un moyen de se libérer, d’oublier, de se réinventer. Mais comme le rappelle Jamal Davis :
« Ce besoin d’échapper au réel, c’est aussi ce qui a ouvert la porte à l’usage de drogues. Pourtant, cette liberté, on peut la trouver autrement. Ce qui compte, c’est la communauté, la créativité, la transmission. Avec ou sans alcool, ces lieux sont là pour faire vivre une culture, pour passer le flambeau d’une génération à l’autre. »
Jojoflores conclut : « Sortie du cadre des raves ou des soirées, la musique électronique révèle une autre facette. Plus subtile, elle s’écoute avec une attention nouvelle. Dans un café, un lieu de création, un espace sans pression, elle devient la trame sonore de la réflexion, des échanges — pas seulement de la danse. »
Voici quelques lieux où écouter de la musique électronique à Montréal, presque tous les jours – et pas forcément de nuit :
- Café SAT X Shift Radio – Radio en ligne qui met en avant la scène électronique locale
- Osmo x Marusan – Café-bar avec DJs et sets électroniques réguliers
- September – Café stylé à Saint-Henri avec des événements musicaux occasionnels
- Café Famé – Café communautaire connu pour ses DJ sets intimistes et sa programmation culturelle
- Piknic Électronik – Événement hebdo en plein air tout l’été
- MUTEK – Festival annuel dédié à la musique électronique et la création numérique