Comment des artistes indépendants comme Ruby Waters parviennent-ils à tracer leur route sans l’appui d’une maison de disques
À l’occasion du numéro spécial Indie de Billboard Canada, l’artiste pop alternatif Ruby Waters et la nouvelle société de services aux artistes Small Fry discutent des voies alternatives vers le succès — et des défis qui les accompagnent.

Eaux rubis
Signer un contrat avec une maison de disques : le rêve de tout artiste en herbe — du moins, selon la sagesse populaire.
Depuis ses débuts, l’industrie de la musique enregistrée repose sur le modèle du label : des maisons de disques qui financent les artistes en échange de droits sur leur musique.
Mais à mesure que les outils d’enregistrement se démocratisent et deviennent plus accessibles, ce paradigme évolue. Aujourd’hui, de nombreux artistes choisissent de rester indépendants — ou, comme c’est le cas de révélations canadiennes telles que The Beaches et Nemahsis, trouvent le succès après s’être détachés d’un label.
Cette dynamique n’est pas nouvelle : des mouvements indépendants solides existent depuis longtemps dans des genres comme le punk ou le hip-hop. Mais l’arrivée d’Internet a radicalement transformé l’écosystème musical, poussant les artistes de tous horizons à reconsidérer les avantages (et les contraintes) liés à l’indépendance.
Cela dit, être indépendant ne veut pas dire être seul. Les artistes autoproduits qui atteignent une large audience s’entourent généralement d’une équipe solide. En réalité, ne pas être signé rend cette équipe d’autant plus essentielle.
Dans le cadre de son numéro spécial Indie, Billboard Canada explore ce qu’il faut pour réussir en tant qu’artiste indépendant et comment sortir du lot — avec les perspectives de la musicienne Ruby Waters et de Small Fry, une nouvelle société canadienne de services aux artistes.
Gardez une communauté forte autour de vous
Lorsqu’on ne peut pas compter sur un label pour financer sa musique ou déployer des stratégies de sortie et des réseaux promotionnels bien rodés, il est essentiel de bâtir une communauté solide autour de soi.
L’artiste indépendante ontarienne Ruby Waters en est un parfait exemple. En l’espace de cinq ans, elle s’est imposée comme l’une des figures montantes du rock indépendant canadien, avec deux nominations aux prix Juno, des tournées à l’international et des millions d’écoutes en streaming.
Elle attribue cette ascension à la force de son entourage — ses amis et ses fans.
« La principale force de mon indépendance en tant qu’artiste réside vraiment dans l’amour et le soutien que j’ai reçus de mes potes et de mes fans, du premier jour jusqu’à aujourd’hui, depuis l’époque où je chantais dans la rue », confie-t-elle à Billboard Canada.
Waters a longtemps brillé en marge des circuits traditionnels, chantant dans les rues dès son adolescence. Son single « Sweet Sublime », sorti en 2018, a attiré l’attention sur Reddit et lui a valu un buzz dans le milieu. Peu après, elle signe avec l’agence Paradigm et part en tournée aux côtés de City and Colour.
C’est souvent à ce stade qu’un jeune artiste aurait signé un contrat d’enregistrement. Mais Ruby Waters a préféré suivre son propre chemin.
« Le fait de ne pas avoir signé immédiatement avec un label m’a permis de m’épanouir à mon rythme, selon mes propres termes en tant qu’artiste », explique-t-elle.
Waters s’est forgé une identité artistique qui respire l’authenticité. Son premier album, What’s The Point, sorti en 2024, regorge de morceaux grunge-pop ciselés qui capturent avec franchise l’ambivalence et l’angoisse du passage à l’âge adulte. Là où une signature précoce peut parfois diluer la vision d’un·e artiste, Waters conserve une énergie brute, honnête et résolument personnelle.
« L’écriture a toujours été un exutoire essentiel pour moi », confie-t-elle. « Je vais simplement continuer à rester vraie et à composer des chansons brutes, sans filtre. »
Suivre sa propre voie
Waters fait partie d’une nouvelle génération d’artistes rock indépendants qui tracent leur route loin des sentiers balisés des maisons de disques — aux côtés de groupes comme Cryogeyser (Los Angeles) ou Crumb (Brooklyn). Si signer avec un label permet de profiter d’une expertise et d’un réseau établi, il est aujourd’hui possible de bâtir sa communauté de manière organique grâce aux plateformes numériques.
Des artistes canadiens comme l’auteur-compositeur-interprète Alex Nicol ou le groupe jazz-pop Fleece ont transformé des vidéos virales sur TikTok ou Reddit en véritables carrières — avec des fans fidèles à la clé.
Mais cette liberté numérique a son revers. La simplicité de diffusion ne garantit pas l’écoute, dans un paysage musical saturé.
« Le fait que n’importe qui puisse enregistrer et sortir de la musique aujourd’hui vient aussi avec une question existentielle : comment faire pour se démarquer dans cet écosystème en ligne totalement congestionné ? », explique Elliott Gallagher-Doucette, cofondateur de Small Fry.
Musicien au sein de Dumb Crush, Gallagher-Doucette a lancé cette société de services aux artistes avec Jesse Northey et Sophie McKinnon, tous trois issus du label canadien Victory Pool. Small Fry accompagne les artistes, qu’ils soient signés ou non, dans chaque étape de leur développement, avec ou sans label.
« Au Canada, les artistes ont aujourd’hui de nombreuses options pour partager leur musique et bâtir leur public sans passer par les structures traditionnelles », dit-il. « On a lancé Small Fry pour formaliser ce travail de terrain, et offrir les outils et infrastructures dont les artistes indépendants ont besoin. »
Ce modèle rejoint celui de sociétés comme Happy Life à Montréal, ou AWAL — la branche de distribution de Sony qui a soutenu récemment des artistes comme Laufey, The Beaches ou Djo. Ces structures permettent aux artistes de sortir leur musique avec un accompagnement professionnel, sans céder de pourcentage sur leurs redevances ou leurs droits.
Car les contrats avec les labels, eux, imposent souvent des délais de sortie rigides et des coûts promotionnels élevés à rembourser — autant de freins qui peuvent retarder, voire compromettre, les revenus d’un·e artiste.
Cela dit, tous les labels ne se valent pas. Certains offrent des moyens réels d’amplifier une carrière.
« À la fin, tout dépend de ce qu’un·e artiste veut préserver : ses droits, son indépendance créative, ou simplement une part plus importante de ses revenus », résume Gallagher-Doucette.
Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Mais chaque artiste devrait savoir quelles routes lui sont ouvertes — et surtout, lesquelles il ou elle ne souhaite pas emprunter.
Waters, par exemple, n’a pas mis autant d’énergie dans les réseaux sociaux que ses pairs indépendants, comme Connor Price, star du numéro Indie. Elle a préféré bâtir sa base de fans à la fois en ligne et en personne, grâce à une tournée bien remplie qui l’a vue se produire aux côtés de certains de ses héros, de Dallas Green (City and Colour) à l’artiste blues-folk américain Shakey Graves, en passant par la chanteuse pop-R&B montante Tia Wood. Pour elle, ces concerts sont les moments forts de sa carrière.
« J’ai été émerveillée, inspirée et époustouflée par chacun d’eux. Je serai éternellement reconnaissante d’avoir eu la chance de partager la scène avec tant de belles âmes », confie-t-elle.
Lorsqu’on lui demande comment elle gère son image en ligne, Waters répond sans détour : « Je pense qu’il est très important de ne pas trop se soucier de ce que les gens pensent et de se donner à fond. La viralité peut être utile, mais ce n’est pas l’objectif, et ça ne l’a jamais été pour moi. »
N'ayez pas peur d'y aller
Être un artiste indépendant n’est pas facile, surtout avec les coûts de tournée qui augmentent et un environnement numérique saturé où chaque stream ne rapporte que quelques centimes. Waters encourage les jeunes artistes à donner leur maximum, malgré les défis.
« Parfois, j’ai peur que toutes les pressions financières, industrielles et personnelles découragent les artistes émergents de croire en eux », dit-elle. « J’espère que chacun trouvera le moyen de surmonter cette peur et de se lancer. SORTEZ LA CHANT ! FAITES LE MONDE ! »
Elle ajoute, pleine d’énergie : « Je suis ici pour passer un bon moment, pas pour longtemps. »
Gallagher-Doucette, qui cumule dix ans d’expérience dans l’industrie avec ses collègues de Small Fry, explique que ce qui les motive à continuer, c’est de voir l’impact réel que la musique et les artistes qu’ils soutiennent peuvent avoir.
La musique reste un travail d’amour. Bien que les artistes puissent désormais tout faire seuls — enregistrer, mixer et diffuser depuis leur ordinateur — il faut une communauté pour que leur projet prenne réellement vie.
Gallagher-Doucette observe que certains artistes ont peur de solliciter cette communauté, mais selon lui, c’est le meilleur réseau de soutien disponible.
« Beaucoup hésitent à contacter leur entourage pour leur dire : ‘J’adorerais que vous écoutiez ma musique et que vous me disiez ce que vous en pensez.’ En réalité, nous vivons dans un paysage numérique où la découverte musicale dépend largement d’artistes déjà établis. »
Ainsi, si les gens autour de vous écoutent et partagent vos créations, c’est souvent le meilleur moyen de créer un véritable mouvement de soutien.
Après tout, Waters doit une grande partie de son succès à ses débuts modestes. Pour les artistes indépendants, ce sont ces premiers soutiens qui rendent leurs rêves possibles.
Ruby Waters se produira lors de la série Billboard Canada Live Spotlight au NXNE, le 14 juin 2025, au Lee’s Palace de Toronto. Plus d’infos ici.
La société mère de Billboard Canada, AMG, est copropriétaire de NXNE, et ses marques sont des partenaires médias officiels de l'événement.