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Debby Friday remporte le prix Polaris 2023

Le 19 septembre dernier à Toronto, Debby Friday a remporté en soirée le Prix de musique Polaris 2023 pour son premier album, Good Luck.

Debby Friday remporte le prix Polaris 2023

Debby Friday au SXSW le 16 mars 2023 à Austin, Texas.

Samantha Tellez pour Rolling Stone

En acceptant le prix du meilleur album canadien de l’année et, par le fait même, un prix de 50 000 $, l’artiste électronique industrielle de Toronto a été aussi agréablement surprise que le public du Massey Hall, dans la Ville Reine.

« Je suis sous le choc! », s’est-elle exclamée, riant et pleurant à la fois. « Je ne pensais même pas que c’était possible. Je suis née dans un petit village du Nigeria. Et là, je suis ici aujourd’hui, et ça ressemble à un miracle. »


Le prix, qui en est à sa 18e édition, continue d’évoluer et d’étonner. Décerné par un jury composé de journalistes et de professionnels de la musique, il incarne ce qui se rapproche le plus d’un authentique prix de la critique au Canada — un prix qui fait abstraction de facteurs comme la maison de disques, le genre musical ou le classement dans les palmarès afin de s’en remettre uniquement au concept plutôt insaisissable de « mérite artistique ». Il est certes plus ardu de prédire le Polaris que toute autre récompense au pays, mais cela en fait un bon baromètre des débats critiques autour de la musique canadienne.

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Si on lui reprochait par le passé de ne récompenser que des artistes indie-rock, le Polaris témoigne aujourd’hui de la diversité de la scène musicale canadienne qui a aboli les frontières des genres. La musique de Debby Friday est inclassable — un mélange de rythmes explosifs, de production audacieuse et d’une interprétation impétueuse, bouillante, influencée tant par le punk que par le hip-hop.

Sur le plan strictement musical, le son de l’artiste se distingue de celui des précédents lauréats tels que l’artiste d’afrobeats Pierre Kwenders, les rappeurs Cadence Weapon et Backxwash ou le producteur Kaytranada, mais il s’inscrit dans la tendance récente du Polaris à récompenser des artistes qui repoussent les limites du genre et créent de nouveaux sons à partir d’influences très personnelles. Et s’il y a bien une chose qui définit la musique canadienne, c’est certainement son aisance à naviguer entre les cultures, mélangeant naturellement une grande diversité de sons et de traditions multiculturelles.

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Bien que Debby Friday ait interprété So Hard to Tell avec fougue et assurance, sa prestation s’est plutôt démarquée par sa facture rêveuse. Soutenue par un habillage électronique, une guitare et une petite section de cordes réunissant alto et violoncelle, sa voix, ardente, était empreinte d’émotion. Une interprétation qui a compté parmi les nombreuses prestations mémorables de la soirée.

Avec des transitions longuettes entre les prestations — qui semblaient s’adresser davantage aux caméras de Radio-Canada qu’au public —, le gala de l’année dernière au Carlu, à Toronto, s’est étiré sur quatre longues heures. Cette année, le gala a radicalement changé de cap. Sept des dix artistes composant la courte liste Polaris se sont produits sur la célèbre scène du Massey Hall (Daniel Caesar, Feist et Alvvays étaient en tournée et n’ont pu y être de la partie), et la soirée s’est souvent apparentée davantage à un concert qu’à une remise de prix. Elle a duré sur deux heures, sans temps mort, et est restée axée sur la musique : pas de diffusion en direct, pas d’interruptions prolongées et, doit-on le souligner, pas d’animation.

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D’une certaine manière, cette approche restait fidèle à la philosophie de Polaris consistant à valoriser la musique avant toute chose. Toutefois, si l’intention était de mettre en lumière la musique canadienne méconnue du public, un peu de contexte aurait été le bienvenu. L’album Colder Streams des Sadies, par exemple, qui figure sur la courte liste, recèle une histoire émouvante, qui n’a pas été racontée à l’auditoire. Il s’agit pourtant de l’ultime album du groupe country psychédélique auquel a participé l’un des membres fondateurs, le guitariste Dallas Good, mort tragiquement durant l’enregistrement. Les Sadies n’en étaient guère à leur premier concert au Massey Hall, ayant foulé la scène au fil des ans aux côtés d’artistes légendaires comme Neil Young et Gord Downie. Les voir jouer en trio — le frère de Dallas, Travis Good, posté au centre de la scène — était bouleversant. Le nom du regretté guitariste n’a pas été prononcé, mais la photo de lui projetée à l’écran valait mille mots.

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L’auteur-compositeur autochtone Aysanabee a quant à lui diffusé un enregistrement de son grand-père parlant de sa douloureuse expérience en pensionnat pour Autochtones. (Depuis la colonisation jusqu’à tout récemment encore, outrageusement, les enfants autochtones ont souvent été arrachés à leur famille et assimilés de force, ce que le Canada reconnaît aujourd’hui comme étant une forme de génocide culturel.) Cela a insufflé une charge supplémentaire d’émotion à une prestation déjà puissante, portée par sa voix intense et profonde.

L’auteur-compositeur-interprète indie-folk Dan Mangan a ajouté à la densité émotive de la soirée, chantant « pour tous ceux qui ressentent la lourdeur [feeling the weight] ». Il a de plus fait honneur à l’acoustique de la salle, ses complices musiciens et lui se réunissant autour d’un micro afin de pousser des harmonies à trois.

La soirée se déroulant sans maître de cérémonie, il revenait aux artistes de s’acquitter de l’animation. Ce qui a consisté, dans le cas de la meilleure prestation de la soirée, à déconstruire le concept même de gala. Originaire de la nation haïda, le duo hip-hop Snotty Nose Rez Kids a plutôt monté un plateau de variétés, piloté par un animateur nommé « too tall Paul » [le trop grand Paul] qui était incapable de prononcer correctement le nom du groupe et interrompait ses plaisanteries. Puis, les rappeurs, qui ont récemment grossi les rangs de Sony Music Canada, sont montés sur scène et ont galvanisé la foule avec la déchaînée Damn Right, tirée de leur mini-album I’m Good, HBU? Leur énergie contagieuse et leurs paroles déjantées (probablement la seule chanson jouée au Massey Hall utilisant le terme dingleberry [une personne comparée à un résidu de matière fécale coincé dans les poils de l’anus]) ont ragaillardi un parterre composé de membres de l’industrie amorphes et leur ont valu la plus longue ovation de la soirée.

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Cette prestation vivifiante est arrivée à point nommé pour l’annonce de l’artiste gagnant. Lorsque le vainqueur de l’année dernière, Pierre Kwenders, a extirpé le disque vinyle de Debby Friday d’une mallette au logo du Polaris, le public a explosé. Elle a remercié toutes les personnes qui la soutiennent depuis son premier mini-album, BITCHPUNK, et souligné la force que procure le fait de faire les choses différemment. « J’ai toujours été un peu étrange, a-t-elle déclaré. En rétrospective, je vois ça comme un super pouvoir. »

En cette ère où les journalistes musicaux voient se désagréger au pays les débouchés liés à la couverture artistique, le Prix de musique Polaris semble également se chercher sous la direction générale d’Amber Moyle, en fonction depuis l’année dernière. Suivre le conseil de Debby Friday semble la meilleure avenue : rester étrange.

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