advertisement
Français

Syndrome de l'intermédiaire inutile : l’enjeu des droits voisins au Canada (Chronique d’invité)

Ce qui avait commencé comme une simple enquête sur la baisse des redevances de mon label s’est transformé en une révélation sur l’ampleur des dysfonctionnements dans la collecte des droits voisins – un problème parmi tant d’autres dans l’industrie musicale.

Jonathan Simkin, president and co-founder of 604 Records
Jonathan Simkin, president and co-founder of 604 Records
Rafal Gerszak

L’industrie musicale canadienne est gangrenée. Minée par les conflits d’intérêts, les transactions douteuses, la cupidité des grandes maisons de disques et, plus inquiétant encore, par un virus que j’appelle le syndrome de l’intermédiaire inutile (« SIA »).

Le SIA désigne ces entités de l’industrie musicale qui perçoivent des revenus sans justification réelle, simplement parce qu’elles en ont le pouvoir.


Récemment, j’ai été confronté à ce syndrome omniprésent en analysant les écarts inexpliqués dans les déclarations de redevances de 604 Records, le label indépendant basé à Vancouver que j’ai cofondé en 2001/2002 avec Chad Kroeger de Nickelback.

Ce qui, au départ, n’était qu’une simple tentative de comprendre pourquoi une partie significative de nos droits voisins semblait disparaître s’est transformé en une leçon édifiante sur l’ampleur des dysfonctionnements du système de perception des droits voisins au Canada – un système qui, à l’image de tant d’autres aspects de cette industrie, est profondément défaillant.

advertisement

Je ne viens pas du monde de la musique.

Au début des années 90, j’exerçais comme avocat en droit de la pauvreté dans les rues sombres du Downtown Eastside de Vancouver. J’étais un intermédiaire essentiel. Sans moi, les réfugiés et les accusés que je défendais avaient peu de chances d’éviter l’expulsion ou des sanctions pénales. Lorsque j’ai commencé à travailler dans l’industrie musicale, c’était en tant qu’avocat. Là aussi, mon rôle d’intermédiaire était crucial : protéger les artistes des pièges du marché, souvent tendus par les grandes maisons de disques. J’étais rémunéré pour mon expertise et j’apportais une véritable valeur ajoutée.

Aujourd’hui, en tant que président et cofondateur de 604 Records, je constate que l’industrie est infestée d’intermédiaires superflus.

Ma première confrontation avec le SIA remonte à la négociation de notre tout premier contrat de distribution. Après avoir exploré toutes les options auprès des majors, 604 a fini par signer avec Universal Music, tout en conservant ses droits numériques sur les masters. Une décision qui allait à l’encontre des pratiques courantes. Plusieurs acteurs de l’industrie m’ont assuré que ce n’était pas la norme, que les labels indépendants cèdent systématiquement leurs droits numériques à leur distributeur. Mais cette logique nous paraissait absurde. Pourquoi payer un intermédiaire pour accomplir une tâche aussi basique que mettre en ligne des chansons sur une plateforme de téléchargement ? Pourquoi déléguer une action que nous pouvions gérer nous-mêmes ? Autant dire que, dans ce cas précis, notre refus de suivre le modèle traditionnel a largement porté ses fruits.

advertisement

Lors de la création de 604, j’ai également cherché des conseils sur la gestion des droits voisins. Contrairement aux droits d’auteur, qui rémunèrent les auteurs et éditeurs, les droits voisins concernent l’exécution publique des enregistrements sonores et bénéficient aux artistes interprètes ainsi qu’aux maisons de disques. Ces redevances sont générées lorsque des morceaux sont diffusés en public – à la radio, à la télévision, sur certaines plateformes de streaming ou encore dans des lieux comme les bars et restaurants.

Au Canada, la part des droits voisins revenant aux labels est collectée par des sociétés spécialisées. Lorsque nous avons lancé 604, le conseil unanime que nous avons reçu – y compris de notre principal distributeur – était de signer avec l’Audiovisual Licensing Agency (« AVLA »). Si d’autres options existaient, personne ne nous en a parlé. Tous les labels semblaient affiliés à l’AVLA, alors nous avons suivi le mouvement en 2002. Plus tard, cette agence a changé de nom pour devenir CONNECT Music Licensing.

advertisement

Mais qu’est-ce que CONNECT ?

En termes simples, c’est une agence de gestion des licences musicales, enregistrée comme une société fédérale, dont les trois principaux actionnaires ne sont autres que Sony Music Canada, Universal Music Canada et Warner Music Canada. Jusqu’à fin 2024, la CIMA (Association canadienne de la musique indépendante) détenait également une participation minoritaire.

advertisement

Dès lors, une question s’impose : ce système a-t-il réellement été conçu pour servir l’ensemble de l’industrie musicale canadienne… ou simplement pour protéger les intérêts des grandes maisons de disques ?

Théoriquement, CONNECT est chargé de redistribuer les redevances issues des exécutions publiques, notamment les droits voisins, les revenus de licences, les pools DJ, etc. 604 a la chance de posséder plusieurs enregistrements et vidéoclips bénéficiant d’une large diffusion publique, notamment Call Me Maybe de Carly Rae Jepsen – autrefois la chanson la plus jouée de l’histoire de la SOCAN et toujours dans le top 5, près de 12 ans après sa sortie.

À mesure que le succès du label grandissait, nos paiements CONNECT augmentaient également. Cette source de revenus, devenue essentielle pour 604, nous semblait fiable et constante. Confortés par cette stabilité, nous avons naïvement cessé d’y prêter attention, convaincus que CONNECT gérait la collecte de ces royalties avec sérieux et rigueur.

Un autre acteur clé du secteur des droits voisins est Re:Sound. Il s’agit d’une société de gestion collective à but non lucratif, chargée d’octroyer des licences aux entreprises exploitant de la musique et de percevoir les redevances au nom des labels et des collectifs d’artistes-interprètes. Re:Sound collecte des quantités massives de données – notamment les rapports des utilisateurs de musique – et les intègre à son système. Ces informations sont ensuite analysées pour identifier quelles exécutions publiques génèrent des redevances. Re:Sound transmet ensuite ces données aux organismes responsables de la collecte et de la distribution des paiements, comme CONNECT et l’Alliance des artistes canadiens du cinéma, de la télévision et de la radio (ACTRA), cette dernière étant chargée de verser les redevances aux artistes-interprètes.

Pendant les 15 premières années, notre relation avec CONNECT a été cordiale. Tout a changé en 2020/2021. CONNECT a informé ses membres que Re:Sound était en train de mettre en place un nouveau système de distribution, prévu pour être déployé en 2022. La transition devait être fluide, bien que des retards temporaires de paiement puissent survenir. CONNECT a même proposé des avances aux membres qui risquaient d’être affectés.

advertisement

C’est à ce moment-là que notre relation avec CONNECT a pris une tournure sombre et de plus en plus conflictuelle. Nous avons remarqué une baisse progressive de nos revenus. D’abord légère, puis alarmante. Sur une période de cinq ans, de 2017 à 2022, nos revenus ont chuté de près de 90 %. Une hémorragie financière.

Ne reculant jamais devant un problème, j’ai commencé à poser des questions. J’ai contacté directement la direction de CONNECT pour obtenir des réponses. Et des réponses, j’en ai eu. Le problème, c’est qu’elles changeaient constamment et, parfois, frôlaient l’absurde. Parmi les explications avancées :

  • Les tarifs établis par la Commission du droit d’auteur du Canada avaient baissé.
  • Le paiement des droits de reproduction radiophonique, une source de revenus cruciale, avait été effectué en une seule fois pour cinq ans en 2017, à la suite d’un accord entre les radiodiffuseurs et la Commission du droit d’auteur.
  • Le catalogue de 604 ne performait plus aussi bien.
  • Le nouveau système de distribution de Re:Sound rencontrait des problèmes et sa mise à jour logicielle pourrait prendre des années.
  • L’impact du COVID sur les bureaux, les commerces et les salles de concert avait affecté les revenus des performances commerciales (or, nos chiffres suggéraient que les gens écoutaient plus de musique que jamais pendant la pandémie).
  • La guerre en Ukraine (non, ce n’est pas une blague).
  • 604 n’avait pas correctement enregistré son catalogue (totalement faux).

Face à cette avalanche d’excuses, aucune explication claire ou crédible ne justifiait la disparition de nos paiements de redevances, comme le montraient nos relevés CONNECT.

Puis, nous avons découvert une preuve irréfutable. En examinant nos relevés CONNECT de 2021, nous avons constaté une absence troublante de revenus pour deux titres de Coleman Hell, artiste signé chez 604 : 2 Heads et Fireproof. Ces morceaux avaient pourtant connu un succès fulgurant au Canada et à l’international. Certes, ils avaient atteint leur apogée quelques années auparavant, mais il était impensable qu’ils n’aient généré aucun revenu radio.

advertisement

Déterminé à obtenir des réponses, j’ai creusé jusqu’à trouver l’origine du problème. Et la vérité a fini par éclater : les redevances de Fireproof avaient été versées… à Sony Music Canada.

Je ne blâme pas Sony. Ils ont rapidement corrigé l'erreur après que nous les ayons contactés. Cependant, les destinataires des relevés ne devraient pas avoir à consacrer du temps et des ressources pour s'assurer qu'ils n'ont pas reçu par erreur l'argent destiné à quelqu'un d'autre. Ce n'est pas une question anodine : on parle d'environ 65 000 $ pour cette seule erreur. Et Sony, en tant que major, est l'un des principaux actionnaires de CONNECT et dispose d'un représentant siégeant aux conseils d'administration de CONNECT et de Re:Sound. Cela ne donne pas une image très rassurante. Et ce n'est même pas le seul catalogue de 604 dont les paiements ont été envoyés à une major. Si cela nous est arrivé, il est raisonnable de penser que d'autres labels indépendants ont été victimes du même problème.

Voici le vrai problème : que se serait-il passé si nous n'avions pas insisté et demandé des explications claires ? Et si nous nous étions contentés des excuses de CONNECT ? Nous n'aurions jamais récupéré cet argent. Pourquoi CONNECT nous a-t-il menés en bateau au lieu de nous aider à retrouver nos fonds ?

Nous avons été frappés par la désinvolture avec laquelle une telle erreur a été commise et le peu de sérieux apporté à sa correction. Cela nous a poussés à examiner de plus près nos relevés. Plus nous creusions, plus la situation devenait préoccupante. Nous avons constaté une quantité alarmante d'irrégularités dans nos états comptables, notamment des paiements envoyés à des tiers pour des artistes comme Ralph, Theory of a Deadman et Dani et Lizzy. C'est à ce moment-là que j'ai compris qu'il fallait trouver une autre solution pour la gestion de nos droits voisins. Il fallait sortir 604 de ce naufrage avant la collision avec l'iceberg.

C'est ainsi que nous avons découvert la SOPROQ, une société de gestion collective à but non lucratif basée au Québec, qui représente les titulaires de droits. Il y a environ 18 mois, nous avons quitté CONNECT pour rejoindre la SOPROQ. En leur expliquant nos préoccupations urgentes, ils ont fait un travail remarquable en remontant le temps pour récupérer le plus possible des revenus perdus. Le montant des redevances retrouvées par la SOPROQ, qui auraient dû être perçues et versées pendant notre affiliation à CONNECT, est édifiant : des centaines de milliers de dollars. Et ils en trouvent encore davantage !

Le plus ironique dans tout ça, c'est que la SOPROQ a toujours été une option pour nous, mais nous ne le savions même pas ! Pourquoi ? Personnellement, je n’en avais jamais entendu parler. Connaissez-vous un seul label indépendant basé au Canada anglais ayant travaillé avec la SOPROQ entre 2001 et 2020 ? Était-ce simplement une question culturelle, les labels québécois choisissant la SOPROQ tandis que ceux du reste du Canada optaient pour CONNECT ? C’est une partie de l’explication, mais il est aussi évident que les majors ont orienté les labels qu’elles distribuaient vers CONNECT. C’est d’ailleurs ce qu’Universal nous avait recommandé à l’époque.

604 a eu de la chance. Nous avons agi tôt, ce qui a facilité le travail de la SOPROQ pour retrouver nos revenus. Mais plus le temps passe, plus il devient difficile de récupérer les redevances perdues. Certains producteurs indépendants risquent de ne jamais revoir l’intégralité de l’argent qui leur est dû.

Alors, où est passé notre argent ? Plusieurs raisons expliquent cette disparition :

  • Des paiements ont été envoyés à la mauvaise personne, comme dans le cas de l’erreur "Fireproof".
  • Des paiements ont été bloqués à cause de conflits de propriété intellectuelle dont nous n’avions pas connaissance, ce qui signifie que nous ne savions même pas que l'argent était bloqué ! C’est apparemment ce qui s’est passé avec "2 Heads". CONNECT a essayé de nous accuser d’avoir mal enregistré nos droits, ce qui était faux. Et surtout, ils n’ont jamais expliqué pourquoi cet argent a finalement été versé à quelqu’un qui n’y avait aucun droit.
  • Et pour le reste ? Mystère total.

À l’époque où nous étions affiliés à CONNECT, leurs frais administratifs oscillaient entre 5 % et 18 %. Le 9 août 2022, CONNECT a informé ses membres qu’elle facturerait désormais 14 % de frais administratifs, en plus des 18,7 % retenus par Re:Sound. Cela représente 33 % de frais au total. Un tiers de notre budget ! Je comprends que Re:Sound a un rôle clé et mérite d’être rémunéré. Mais CONNECT ? Leur valeur ajoutée reste un mystère, et personne ne semble capable de la justifier.

Si CONNECT ne participe pas réellement au processus de recouvrement, ne garantit pas que ses membres soient correctement payés et semble se concentrer uniquement sur la génération de revenus, alors quel est l’intérêt de payer ces frais administratifs ? En quoi CONNECT justifie-t-elle son existence ? Si CONNECT avait consacré autant d'efforts à retrouver nos revenus qu'à trouver des excuses, cet argent aurait été récupéré bien plus tôt. Il est exaspérant de devoir payer des frais substantiels tout en étant obligé de faire soi-même la majeure partie du travail.

Ce n’est pas tout. Il s’avère que depuis 2016, CONNECT ne collecte même plus les droits voisins pour les majors, qui perçoivent directement leurs redevances auprès de Re:Sound. Les labels indépendants pourraient, en théorie, faire la même chose, mais les frais imposés par Re:Sound sont si prohibitifs qu’ils n’ont d’autre choix que de passer par CONNECT, ce qui signifie qu’ils doivent payer deux niveaux de frais administratifs, dont un qui profite directement aux majors.

Alors pourquoi l’organisme censé représenter les labels indépendants est-il contrôlé par les majors ? Pourquoi les majors peuvent-elles percevoir leurs droits directement auprès de Re:Sound, tandis que les indépendants sont contraints de passer par CONNECT ? Qui a mis en place ce système ? À qui profite-t-il ?

À compter du 1er janvier 2025, CONNECT ne s’occupera plus des droits voisins pour les labels indépendants. Ce rôle sera désormais confié à la SOPROQ. CONNECT continuera néanmoins à représenter les majors et à octroyer des licences. Officiellement, il s’agit d’un « partenariat » entre CONNECT et la SOPROQ, mais des sources bien informées affirment que CONNECT se retire totalement de la gestion des droits voisins pour les indépendants. La vraie question est de savoir si CONNECT va s’assurer que tous les labels indépendants ont bien reçu toutes les sommes qui leur sont dues avant de se retirer. Si ce n’est pas le cas, quels seront les recours possibles pour récupérer les redevances perdues ?

Chez 604, nous avons la chance d’avoir des masters générant des revenus significatifs. Mais qu’en est-il des petits labels indépendants pour qui ces pertes sont catastrophiques ?

604 étudie actuellement toutes les options légales pour récupérer les frais administratifs versés à CONNECT et encourage les autres labels indépendants à en faire autant. Un procès n’est pas notre objectif, mais il semble être la seule solution pour faire valoir nos droits et obtenir des réponses. CONNECT, c’est-à-dire les majors, doit assumer ses responsabilités et rembourser une partie ou la totalité de ces frais.

Pour citer mon partenaire commercial : il faut détruire ce système et en bâtir un nouveau, plus transparent et efficace, sans intermédiaires inutiles.

Jonathan Simkin est président et cofondateur de 604 Records, l'une des plus importantes maisons de disques indépendantes au Canada. Avant de fonder la maison en 2001 avec Chad Kroeger de Nickelback, Simkin était l'avocat du groupe, un rôle qu'il occupe toujours aujourd'hui. 604 est connu pour ses nombreux succès internationaux, dont « Call Me Maybe » de Carly Rae Jepsen, dont Simkin a été coproducteur exécutif.

advertisement
From left to right: Jackie Dean, Chief Operating Officer of Loft Entertainment; Tom Pistore President of OVG Canada; Kevin Barton, Executive Producer, Loft Entertainment and Randy Lennox, co-founder and CEO of Loft Entertainment
George Pimentel pour le départ
De gauche à droite : Jackie Dean, chef de l'exploitation de Loft Entertainment; Tom Pistore, président d'OVG Canada; Kevin Barton, producteur exécutif de Loft Entertainment et Randy Lennox, cofondateur et PDG de Loft Entertainment
Français

Le procès du Departure Festival prend de l'ampleur alors que l'ancien propriétaire de CMW affirme être dans l'impossibilité de travailler

Dans une déclaration mise à jour, Neill Dixon affirme que les clauses de non-concurrence l'ont empêché de travailler tandis qu'il tentait d'obtenir un paiement de la part des propriétaires de Departure.

De nouveaux éléments ont émergé dans le litige opposant Departure à Neill Dixon, ancien propriétaire de Canadian Music Week (CMW).

Dans une déclaration mise à jour déposée auprès de la Cour supérieure de justice de l’Ontario le 25 mars, Dixon étoffe sa poursuite initiale. En plus des dommages-intérêts d’environ 485 000 $ réclamés dans sa demande du 18 mars, il exige désormais l’annulation des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation le visant.

continuer à éleverShow less
advertisement